Valeant est-elle un fleuron québécois dont il faut se réjouir, ou plutôt une société avec un faux siège social au Québec qui devrait nous faire pleurer de déception?
C'est un peu cette question que l'on posait, à la mi-avril, alors que la société de Laval lançait une OPA de 45 G$ US en argent et en actions sur la pharmaceutiques américaine Allergan.
Valeant tenait mardi son assemblée annuelle à Laval. L'occasion pour les médias de tenter d'en savoir plus sur la guerre en cours avec le conseil d'administration d'Allergan et sur la riposte qu'elle prépare. L'occasion pour nous de tenter de voir à quel point le Québec compte pour l'entreprise et si elle est à l'aise avec sa stratégie fiscale.
D'abord, un rappel sur les deux principaux agacements qui ont fait surface avec la tentative d'acquisition d'Allergan.
1-La politique d'investissement en R&D
Si Valeant met la main sur Allergan, il est assuré que les investissements en recherche et développement seront significativement coupés. Le dernier scénario de base de BMO Nesbitt Burns estimait que ceux-ci passeraient de 16,5% des revenus à 9%.
D'un point de vue purement capitaliste, le rôle d'une entreprise est de créer de la valeur. L'agacement vient du fait que d'un point de vue socio-économique, le rôle d'une entreprise est aussi de tenter de faire avancer la société en lui apportant de nouveaux produits.
2-La stratégie d'évitement fiscal
Le plus grand agacement attaché à cette tentative de prise de contrôle réside du côté de la fiscalité.
Jusqu'à 45% des coûts que récupérera Valeant si elle met la main sur Allergan pourraient provenir de ce qui est dans le jargon qualifié de "synergies fiscales".
Quel est le taux d'imposition effectif de Valeant?
Moins de 5%.
Quel est le taux d'Allergan?
26-27%.
Plusieurs analystes calculent que Valeant devrait ramener le taux d'imposition d'Allergan autour de 8%. C'est toute une économie. Qui se fera cependant au dépend du contribuable et des services publiques nord-américains.
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Comment la chose est-elle possible?
En acquérant Biovail, en 2010, Valeant a transféré son siège social des États-Unis au Canada. Elle a aussi décidé d'envoyer ses droits de propriété intellectuelle dans les Bermudes (et a depuis ajouté quelques juridictions fiscales avantageuses comme l'Irlande).
Les revenus qu'elle tire de cette propriété intellectuelle (souvent par licences) sont imposés aux faibles taux des îles. Valeant ne paie pratiquement pas d'impôt au Canada puisque la loi canadienne prévoit qu'une société ayant une filiale offshore dans des juridictions qui coopèrent (au plan du secret bancaire) peut rapatrier leurs dividendes sans impôt.
Dans les dernières années, Valeant a multiplié les acquisitions en tablant sur cette stratégie. Qui a fortement contribué à sa croissance. Pendant ce temps, la plupart des sociétés du secteur continuaient à être imposées autour de 20%.
C'est inéquitable, concluait-on il y a quelques semaines. Pendant que la plupart contribuent au développement de leur milieu, la société de Laval marche en tête de file de l'évitement fiscal.
Qui plus est, ajoutait-on, Valeant n'apparaît pas véritablement très animée de la fibre québécoise. Contrairement aux autres sociétés d'ici, ses communications aux investisseurs (page web, communiqués, rapports trimestriels, etc.) sont uniquement en anglais.
Questions et réponses de Michael Pearson
Questions et réponses de Michael Pearson
La conférence de presse avec le grand patron, Michael Pearson, a permis de revenir sur ces deux agacements.
Sur les investissements en R&D, monsieur Pearson ne cache pas que la société investisse des sommes moins importantes que les autres pharmaceutiques. Mais il prétend que, dans les six dernières années, les investissements en R&D de l'entreprise ont permis d'amener plus de nouveaux produits sur le marché que ses concurrents. Preuve en sera d'ailleurs faîte le 28 mai, dit-il, lors d'une rencontre avec les analystes où l'offre pour Allergan sera majorée. C'est simplement, soutient le grand patron, que Valeant se concentre sur des produits plus sûrs et évite les investissements dans des produits en phase initiale de développement où le risque d'échec est plus élevé.
Sur le régime fiscal, il estime qu'il n'y a dans le monde que les États-Unis et le Japon qui imposent le revenu provenant d'outre-mer lorsqu'il est rapatrié. Il estime que le Canada est plutôt une juridiction progressiste, qui a compris que son approche fiscale crée de l'emploi. La démonstration en est donnée par les emplois aux installations du Manitoba et de Laval (environ 500 ici) de Valeant. En outre, a-t-il précisé, si l'opération sur Allergan réussit, un certain nombre d'emplois seront ramenés des États-Unis au Canada (au Manitoba ou au Québec).
Monsieur Person n'a pu dire combien de salariés étaient au siège social de Laval (la majorité sont dans les installations manufacturières de produits dermatologiques (crèmes, lotions, etc.). Un porte-parole de l'entreprise a toutefois estimé qu'autour de 130 n'étaient pas reliés aux activités manufacturières et étaient attachés aux activités internationales de Valeant.
Que penser de tout cela?
Sur les investissements en R&D. La stratégie se défend. Le fait est cependant que si l'industrie pharmaceutique dans son ensemble migre vers une pareille stratégie, il n'est pas clair que la société en sortira gagnante, et même que la majorité des entreprises en sortiront gagnantes. Il y a un risque de bousculade sur des produits nettement moins révolutionnaires. On a bien hâte de voir, le 28 mai, quels sont les produits auxquels Allergan fait référence dans ses prétentions d'innovation.
Sur la question fiscale, on ne peut qu'être en désaccord avec l'approche. Ce sont plutôt les États-Unis et le Japon qui jouent correctement. Il est difficilement concevable que tout ce qui est revenu de propriété intellectuelle puisse ultimement échapper au fisc canadien et québécois. C'est ce qui nous guette si toutes nos sociétés se mettent à emprunter la stratégie Valeant. Il y a certes un risque de pertes d'emplois au Canada si le fédéral décide de fermer l'échappatoire (Valeant déplacerait sans doute son siège social, et d'autres sociétés pourraient l'imiter), mais il convient maintenant d'analyser plus en profondeur la situation.
Sur la présence du siège social au Québec, on s'est peut-être initialement avancé un peu loin en soutenant que Valeant était une fausse québécoise. Il semble en effet y avoir certaines fonctionnalités du siège social au Québec. Il n'en reste pas moins que, bien qu'apparemment modeste, le centre nerveux du siège social n'est pas ici. Le bureau officiel de monsieur Pearson est par exemple aux États-Unis, tout comme la direction financière.
Surtout, la sensibilité locale demeure très faible. Deux fois monsieur Pearson a indiqué qu'il allait regarder la possibilité d'avoir des communications en français avec les actionnaires lorsqu'on lui a fait remarquer que les véritables sièges sociaux québécois fonctionnaient dans les deux langues. Mais il a aussi deux fois indiqué que Valeant était une organisation qui surveillait de près ses coûts et n'a voulu rien garantir. Une position qui n'est certainement pas sans mettre l'entreprise à risque d'une visite d'Yves Michaud…
Conclusion?
Valeant n'est peut-être pas une fausse québécoise, mais elle n'en est certainement pas une véritable. Sa stratégie de R&D est justifiable, mais sa stratégie fiscale, quoique tout à fait légale, devrait continuer à être décriée. Il revient maintenant à nos gouvernements de décider s'ils la cautionnent.
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