C'est l'une des sociétés qui nous fait le plus sourciller, et c'est aussi l'une de celles qui a créé le plus de valeur pour ses actionnaires au cours des dernières années. Voilà que la pharmaceutique lavalloise Valeant se retrouve de nouveau dans l'eau chaude.
Avant de traiter du plus récent développement, un petit rappel historique s'impose.
Il y a deux ans, nous avions chroniqué une première fois sur la pharmaceutique, avec pour titre : «Le déplorable évitement fiscal de la fausse québécoise Valeant».
À l'époque, l'entreprise faisait équipe avec l'activiste Bill Ackman et tentait d'acquérir la société américaine Allergan.
Premier agacement, la philosophie d'acquisition de Valeant. L'entreprise n'aime pas tellement la R-D. Elle estime que, souvent, le rendement de l'investissement n'y est pas et préfère placer son argent dans des produits qui ont fait leurs preuves. Elle prévoyait ainsi financer l'acquisition en réduisant fortement le budget de R-D d'Allergan. D'un point de vue capitaliste, le rôle d'une entreprise est de créer de la valeur. D'un point de vue plus socioéconomique, une partie de ce rôle consiste à tenter de faire avancer la société en lui fournissant de nouveaux produits.
Second agacement, le plus important : la stratégie fiscale de Valeant.
Jusqu'à 45 % des coûts qu'aurait pu récupérer Valeant (si son opération n'avait pas échoué) seraient provenus de synergies fiscales.
Quel est le taux d'imposition de Valeant ?
Moins de 5 %.
Quel est le taux d'imposition d'Allergan ?
Autour de 26 ou 27 %.
Les analystes parlaient à l'époque d'une fusion qui ramènerait le taux d'imposition d'Allergan entre 5 % et 8 %.
Comment la chose était-elle possible ?
En acquérant Biovail, en 2010, Valeant a transféré son siège social des États-Unis au Canada. Elle a aussi décidé d'envoyer ses droits de propriété intellectuelle dans les Bermudes (et a depuis ajouté quelques juridictions fiscales avantageuses comme l'Irlande).
Les revenus qu'elle tire de cette propriété intellectuelle (souvent par licences) sont imposés aux faibles taux des îles. Valeant ne paie pratiquement pas d'impôt au Canada, puisque la loi canadienne prévoit qu'une société ayant des filiales offshores dans des pays qui coopèrent (au chapite du secret bancaire) peut rapatrier ses dividendes sans impôt.
La suite
Quelques semaines plus tard, nous nous étions déplacés à l'assemblée annuelle des actionnaires de Valeant, histoire d'en sentir l'atmosphère.
En conférence de presse, l'on n'avait pu s'empêcher de demander à son président, Michael Pearson, pourquoi une société ayant son siège social au Québec (mais ses activités principales aux États-Unis) n'avait aucune communication financière en français (communiqués, rapport annuel, section investisseur sur le site Web, etc.).
M. Pearson avait dit qu'il y avait un coût à cela ; il y songerait, mais ne voulait rien promettre.Depuis, rien. Les communications financières de Valeant sont toujours rédigées en anglais.
Le nouvel agacement
Depuis l'automne, l'entreprise est de retour dans l'actualité. Cette fois, à la suite d'une sortie d'Hillary Clinton, qui vient de partir en guerre contre les sociétés pharmaceutiques qui abusent d'une position dominante pour hausser les prix. Valeant est au banc des accusés.
À la suite de son acquisition de Marathon Pharmaceuticals, en février, la société a augmenté de façon significative le prix de deux médicaments. Celui d'Isuprel a bondi de 525 %, celui de Nitropress, de 212 %. Les deux produits sont utilisés lors d'interventions cardiaques. Ils ne sont plus brevetés, mais il y a peu de concurrence dans le secteur, notamment parce qu'ils sont administrés par injection. D'un point de vue manufacturier, le processus de fabrication d'un médicament injecté est plus complexe que celui de fabrication d'une pilule.
Ces deux exemples ne pourraient être que la pointe de l'iceberg. Tenter de majorer les prix le plus possible semble la nouvelle voie de croissance retenue par Valeant. Une recension récente de la Deutsche Bank permet en effet de constater qu'en 2014, l'entreprise a en moyenne haussé de 50 % le prix de liste de ses médicaments. Personne n'y est allé aussi fort dans tout le secteur pharmaceutique.
À quel point l'effronterie peut-elle payer ?
La question se pose.
La dernière initiative, combinée à quelques autres comportements apparentés dans le secteur, n'a guère été payante pour les actionnaires de la société lavalloise. Le titre de Valeant a perdu le tiers de sa valeur depuis septembre, au moment de la sortie de la candidate démocrate à la prochaine élection présidentielle.
Le marché redoute que le gouvernement américain n'impose une réglementation.
Le prix des obligations corporatives du secteur a bondi de plus de 100 points de base par rapport aux obligations 10 ans du gouvernement. Les investisseurs craignent que les sociétés ne doivent, dans l'avenir, se refinancer à des coûts plus élevés, avec des revenus moindres.
Ils ont probablement tort, et la majorité d'analystes qui considèrent le recul comme une intéressante occasion d'acheter Valeant ont sans doute raison.
Les États-Unis ne pèsent actuellement que pour 15 % des ventes totales de Valeant. Il est en outre fort probable qu'une éventuelle réglementation américaine prendra beaucoup de temps à être mise en place. Si jamais elle l'est.
L'affaire représente néanmoins un important signal à l'intention de la direction. Qui arrive de surcroît accompagné d'une récente entente entre les pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour renforcer les cadres réglementaires sur l'utilisation des paradis fiscaux.
Que dit le proverbe, déjà ? «L'effronterie mène le tisserand à sa perte.»
Sur le radar
Les recommandations des analystes qui suivent le titre de Valeant (Tor., VRX, 216,73 $)
› 3 Conserver
› 6 Acheter
› 9 surperformance
Cours cible : 295 $
Sources : Bloomberg, au 19 octobre 2015
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