On sentait que le feu couvait, il vient de s'embraser. D'importants actionnaires de Groupe TVA (Tor., TVA.B) demandent à l'Autorité des marchés financiers (AMF) de forcer la filiale de Québecor à obtenir l'assentiment de ses minoritaires avant qu'elle ne puisse acquérir les studios Mel's (propriété de Vision Globale).
Le communiqué de presse est signé par Jarislowsky Fraser, Chou Associates, Gestion capital Coerente et Gestion d'actifs Burgundy. Ils détiennent à eux seuls 48% des actions minoritaires.
Les actionnaires énoncent une série de doléances qui les amènent à penser que le conseil d'administration de TVA n'agit pas dans leur intérêt, mais plutôt dans celui de Québecor, la société mère, qui contrôle à peine plus de 50% des actions, mais 100% du vote.
On donne notamment en exemple la création d'une nouvelle division chez Québecor dans laquelle TVA est passée en juillet, le fait que des salariés de TVA reçoivent des bonis de rémunération liés à la performance de Québecor Media, l'acquisition des droits de la LNH, et l'acquisition des Studios Mel's.
Voyons voir la force de chacun des reproches.
Le nouveau Groupe Média de Québecor
L'allégation du groupe d'actionnaires est sérieuse. Ils soutiennent que le fait d'intégrer TVA à ce nouveau groupe a eu pour effet de permettre à Québecor de faire l'acquisition de TVA, sans le consentement des minoritaires, ni le versement de quelque compensation.
OPINION. Dans son unicité, l'allégation semble trop forte.
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Dans une vie ancienne, il nous a été donné d'occuper certaines fonctions de supervision et de gestion chez Québecor (pour les contenus économiques des quotidiens, de la chaîne Argent et de son site web).
Il y avait à l'époque une comptabilité sur des éléments essentiels (les échanges publicitaires journaux-télé par exemple).Tout n'était pas comptabilisé (il y a des choses inquantifiables). Parfois TVA pouvait perdre sur un aspect opérationnel, mais parfois elle gagnait aussi. L'un dans l'autre, le diffuseur n'était pas perdant de l'expérience.
Il était cependant souvent difficile d'avoir une exécution efficace dans les unités, faute d'une autorité supérieure bien affirmée et reconnue par chacune des unités. Quelque chose nous dit que c'est surtout cette carence qu'on a cherché à combler en créant le Groupe Média et en amenant d'éventuels bonis QMI. D'autant que le secteur média prend de l'expansion. Lorsque chacun est forcé de penser à autrui plutôt qu'à lui-même, tous peuvent y gagner en création de valeur.
À moins que tout ait radicalement changé, il est exagéré de parler d'une acquisition de facto sans rétribution des minoritaires.
L'acquisition des droits de la LNH
La pensée des minoritaires n'est pas clairement énoncée sur cet élément. On la présente comme une opération entre apparentée. C'est apparemment QMI qui a acheté les droits, et elle doit encore s'entendre avec TVA.
Les actionnaires semblent se demander si le conseil d'administration de TVA était dans le coup tout au cours du processus d'acquisition, et, s'il l'était, si ses membres étaient suffisamment indépendants pour prendre une décision dans l'intérêt de TVA plutôt que de Québecor (qui cherche à avoir une équipe de hockey).
Si telle est la pensée des actionnaires, ils ont ici un point intéressant. Mais encore faut-il qu'ils estiment que cette acquisition aurait dû soulever des doutes dans l'esprit des administrateurs.
Or, on les suspecte d'aimer l'entente avec la LNH.
L'un des actionnaires estimait en effet récemment en nos pages que le titre de TVA pourrait dans le futur valoir 18-19$ suite à cette acquisition (à 7$ aujourd'hui).
L'acquisition de Mel's
L'acquisition de Mel's
Nous y voici. La transaction qui vient en fait tout enflammer.
Simplement parce qu'elle nécessite une importante injection de capital neuf dans TVA, qui pourrait venir multiplier le nombre d'actions en circulation. Qui dit plus d'actions, dit aussi moins de profit pour chacun des actionnaires si Mel's est un échec.
Stratégiquement, l'acquisition n'est pas réellement surprenante. Du temps qu'il était chef de direction de TVA, Pierre Dion a quelques fois répété que l'avenir de l'entreprise ne passait pas par la diffusion, mais par la production. C'est une situation qui ne milite pas pour les minoritaires. L'intention de migrer vers plus de production est de longue date, et origine de l'unité locale (TVA) plutôt que du conglomérat (QMI).
Cela ne veut pas dire que la prétention d'influence indue des actionnaires est frivole. Ils ont peut-être ici un peu plus de prise. TVA n'achète pas une entité qui roulait sur l'or, mais une entité qui était en difficultés financières (il peut être plaidé que ce n'est pas dans l'intérêt des actionnaires). Dans un contexte où Pierre Karl Péladeau est intervenu auprès d'Investissement Québec pour que l'actif demeure propriété québécoise. Les actionnaires laissent entendre qu'il pourrait être intervenu chez TVA pour que la transaction se fasse non pas dans l'intérêt de TVA mais dans celui du Québec, afin d'aider ses ambitions politiques.
On n'est pas sûr que l'argument puisse aller très loin.
Notons au passage que c'est une assez curieuse situation pour Monsieur Péladeau. On le suspecte d'un côté d'avoir tenté de favoriser son entreprise et de l'autre d'avoir plutôt tenté de favoriser la province.
Au final?
Ça ne s'annonce pas facile pour les actionnaires minoritaires.
TVA conserve son propre conseil d'administration. Il n'est pas clair qu'un organisme réglementaire puisse invalider les statuts et règlements d'une société lorsque son conseil fait bien son travail.
Quelque chose nous dit que l'AMF examinera les procès-verbaux des différents conseils d'administration, mais il est douteux qu'elle y trouve des éléments faisant suffisamment preuve d'un téléguidage de la filiale dans l'unique intérêt de la société mère (le mot unique est important).
Elle s'attardera sans doute aussi aux administrateurs indépendants de TVA. À nos yeux, ils n'ont pas tous une indépendance idoine, mais ils semblent rencontrer les critères de la définition trop peu rigoureuse retenue par la réglementation.
Il serait donc étonnant que l'acquisition de Mel's soit soumise à un vote des actionnaires minoritaires.
La démarche pourrait peut-être amener Québecor à finalement tenter de fermer le capital de TVA en rachetant les minoritaires (pour ne plus avoir de difficultés relationnelles dans l'avenir). Si tel est le cas, il ne serait cependant pas surprenant de voir éclater un nouveau bras de fer sur le prix offert.
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