BLOGUE. C’est un grand coup que vient de frapper Couche-Tard, avec l’acquisition de l’européenne Statoil Fuel & Retail. La plus importante transaction de son histoire fait passer le nombre de ses dépanneurs de 5817 à près de 8120. Une bonne affaire?
Le ton était plus que positif lors de la conférence téléphonique avec les analystes et lors de la conférence de presse à Oslo. Mais il y a aussi du syndicat dans l’air et quelques embûches moins discutées. Tentons d’y voir plus clair.
1-Pourquoi Statoil vend et Couche-Tard achète?
Si Couche-Tard achète, c’est évidemment qu’elle voit du potentiel. Si le géant pétrolier Statoil vend sa participation de 54% dans la chaîne de dépanneurs-stations service, c’est qu’il en voit moins.
Les motivations de transaction sont bonnes des deux côtés.
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Couche-Tard trouve son tremplin européen
Depuis quelques années, les producteurs pétroliers ont tendance à vendre leurs stations services. Les marges bénéficiaires à la pompe sont ordinaires, et sont nettement meilleures du côté de la production. Plusieurs préfèrent vendre les stations et réinvestir l’argent obtenu en amont. Pour bien rentabiliser une station service, il faut aujourd’hui être doté de savoir-faire dans le dépanneur qui y est adjoint, ce que plusieurs pétrolières n’ont pas.
Statoil Fuel & Retail semble avoir une expertise intéressante en exploitation de dépanneurs, mais ses capacités d’expansion à l’extérieur de son marché actuel (la Scandinavie et sa périphérie) étaient limitées. Si l’on a bien compris Alain Bouchard, le patron de Couche-Tard, les autres pétrolières (Shell, Esso, etc.) hésitaient à vendre à une concurrente leur réseau de distribution européen.
Avec l’arrivée de Couche-Tard comme propriétaire, l’inconvénient disparaît et la société québécoise peut espérer faire de Statoil sa base de lancement pour conquérir le marché européen. Elle pourra compter sur une direction expérimentée dans ce marché et ses futures cibles ne redouteront pas un coup fourré.
2-Couche-Tard paie-t-elle trop cher?
À première vue, une prime de 52% sur la clôture de la veille (et de 31,7% sur la moyenne des six derniers mois) apparaît assez forte.
L’offre arrive cependant à un moment intéressant. La rentabilité de Statoil est sous pression, en raison notamment du ralentissement économique européen. Son dividende a fondu du tiers l’an dernier.
Sur une base de multiple, Couche-Tard paie (en tenant compte de la dette de Statoil) 7 fois le bénéfice avant intérêts, impôt et amortissement (BAIIA) des 12 derniers mois. C’est plus faible que son multiple à elle, qui était à 8,7 fois le BAIIA avant l’annonce. Financière Banque Nationale souligne que les transactions en Amérique du nord se situent entre 5,1 et 8,6 fois, avec une moyenne à 6,3 fois.
Bref, c’est bien payé, mais pas exagérément payé.
3-Quelles sont les perspectives de croissance?
C’est ce qui est le plus intéressant, mais aussi le plus difficile à dire.
3-Quelles sont les perspectives de croissance?
C’est ce qui est le plus intéressant, mais aussi le plus difficile à dire.
A long terme, la rationalité est évidemment de se doter d’une plate-forme pour procéder à d’autres acquisitions. Pour que l’on puisse aller plus loin dans cette voie, il faut néanmoins que l’acquisition actuelle fonctionne et que l’on puisse rembourser la dette qu’elle nous ajoute. Plus vite on augmentera la rentabilité de Statoil, plus vite on pourra poursuivre.
On ne peut pas dire que le plan de match pour accroître la rentabilité ait été explicitement mis sur la place publique.
Une allusion de monsieur Bouchard aux revenus et aux marges des deux sociétés semble cependant assez indicateur. En Amérique du nord, 75% de la marge bénéficiaire de Couche-Tard vient de ses ventes en magasin alors que 25% vient des ventes d’essence. Chez Statoil, les chiffres sont plutôt inversés. Bien qu’Alain Bouchard ait indiqué qu’il avait vu d’excellentes idées chez Statoil - qu’il souhaite importer ici- il n’a pas caché que Couche-Tard allait exporter ses compétences de mise en marché pour augmenter la rentabilité et la contribution des dépanneurs européens.
Ça pourrait bien être là que se jouera l’affaire. Et en cette matière, la société québécoise a un historique d’intégration plus qu’enviable.
Cela dit, la route ne s’annonce pas nécessairement très facile.
Il y a une forte présence syndicale chez Statoil. Huit représentants ont été rencontrés pour l’acquisition, et il était intéressant de voir comment Alain Bouchard pesait ses mots au moment d’aborder le sujet. « Nous sommes d’accord pour travailler ensemble et nous nous sommes entendus pour dire que sur certaines choses on ne s’entendrait pas », a-t-il notamment dit. Il sera intéressant de voir si les façons de faire de Couche-Tard peuvent s’implanter aussi facilement dans cet environnement. À noter qu’il y a un représentant syndical au conseil d’administration de Statoil. C’est en apparence toute une adaptation qui sera demandée à la direction québécoise.
Les syndicats ne sont pas la seule interrogation dans le paysage. Avant l’annonce, la firme européenne DNB Markets était à « neutre » sur le titre de Statoil et entretenait d’importants doutes sur ses perspectives de croissance. Couche-Tard estime que le risque sur la rentabilité des activités de vente d’essence n’est pas très élevé parce que le marché est déjà consolidé et est réparti entre quelques gros joueurs. DNB croit par contre que la rentabilité des activités de carburant ira en diminuant. La tendance semble être à l’installation de stations d’essence automatisées en Europe (sans employés), particulièrement en Norvège où leur proportion est grimpée de 12% à 23% en 10 ans. Ces nouvelles stations risquent de déclencher de nouvelles guerres de prix et de faire fondre les marges à la pompe.
Une nouvelle tendance des entreprises semble aussi de faire des ententes d’achat d’essence directement avec le fournisseur plutôt que de passer à la station service. Bien que Statoil vende aussi directement aux compagnies (BtoB), sa marge bénéficiaire est moins forte que celle avec le consommateur (BtoC).
Le débat sur les heures d’ouverture n’est pas non plus terminé en Scandinavie. Sur semaine, la plupart des grandes surfaces semblent pouvoir ouvrir sur des heures étendues, mais des politiciens norvégiens suggèrent maintenant de les autoriser à ouvrir le dimanche.
Et, pour Couche-Tard, il y a évidemment un risque de change de plus.
4-Temps de prendre position dans Couche-Tard?
Le titre a fort bien réagi à la nouvelle mercredi, gagnant plus de 15%.
Essentiellement, le marché a en quelque sorte décidé d’appliquer le multiple qu’il appliquait au BAIIA de Couche-Tard à celui des 12 derniers mois des deux entités.
C’est dire que l’on croit que la croissance des bénéfices du nouvel ensemble ira à la même vitesse que celui de l’ancien Couche-Tard et que le marché n’anticipe pour l’instant aucune synergie de coûts (retranchés) ou de revenus (idées ou savoir-faire qui les augmentent).
Pour celui qui a un horizon long terme et croit que la direction de Couche-Tard continuera d’obtenir autant de succès que par le passé (ce que l’on est personnellement porté à croire), le moment d’entrer peut être adéquat. La croissance des bénéfices devrait normalement accélérer, les façons de faire Couche-Tard donnant du levier à la rentabilité de Statoil.
Pour ceux qui doutent de l’Europe, des syndicats, n’aiment pas les jeux de devises, et croient que cette fois tout est vraiment différent, il n’est pas déraisonnable d’attendre pour voir un peu plus clair. En fait, même si l’on croit en Couche-Tard, on attendrait un peu.
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