D'ici cinq ans, SNC-Lavalin souhaite doubler en grosseur et bien plus que doubler son bénéfice. Difficulté, le marché ne semble pas pour l'instant le vouloir.
Le grand patron Robert Card ne nous a pas vraiment étonné, à l'assemblée annuelle, jeudi, lorsqu'il a indiqué que SNC voulait doubler en grosseur d'ici cinq ans.
Il y a quelques mois, dans une entrevue éditoriale à Les Affaires, il avait laissé entendre la chose. Il avait indiqué que les entreprises concurrentes voyaient généralement leur bénéfice croître de 15% par année, et que si SNC n'y parvenait pas, elle prendrait un retard concurrentiel.
L'énoncé n'était pas aussi clair, mais le calcul mathématique l'était: 15% par année (composé), c'est un doublé sur cinq ans.
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Monsieur Card nous pas mal surpris, cependant, en conférence de presse, lorsqu'on lui a demandé si, lorsqu'il parlait de doubler, il faisait référence aux revenus ou au bénéfice (le bénéfice avant impôts, intérêts et amortissements). "Le BAIIA devrait nettement plus que doubler (way more than double)", a-t-il dit, en précisant que son niveau actuel était inacceptable.
Comme pour se donner un petit coussin de sécurité, il a plus loin précisé que ce pourrait peut-être être sur sept ans.
Très clairement, SNC-Lavalin a l'intention de s'engager sur le chemin de la croissance pour se hisser dans le peloton des 20 à 40 plus grandes sociétés d'ingénierie/construction dans le monde. Elle est actuellement entre la 50e et la 80e position, selon l'évaluation de la direction.
C'est assurément une bonne nouvelle pour le Québec. Bien que monsieur Card indique qu'il faudra davantage décentraliser les décisions pour faire de SNC une société mondiale (60% des revenus viennent encore du Canada), une stratégie d'expansion garantit la présence d'un siège social important à Montréal. L'inertie ferait en sorte que la société risquerait de bientôt devenir une proie et bye-bye le centre décisionnel.
Mais le marché ne semble pas vouloir
Mais le marché ne semble pas vouloir
La question est cependant de savoir si le marché et les actionnaires souhaitent voir SNC-Lavalin prendre de l'expansion.
Il se trouve un courant qui aimerait davantage la voir se concentrer sur son redressement et tout simplement ensuite retourner plus d'argent à ses actionnaires.
La discussion a pris de l'ampleur, il y a quelques jours, avec la vente de sa participation dans Altalink, l'important distributeur d'électricité albertain. Si la transaction est approuvée par les autorités réglementaires, SNC recevra pour l'équivalent de 19,50$ par action en argent (après impôt) à la fin de l'année.
"La grande question est: que fera SNC avec cet argent? Si l'entreprise l'utilise pour une acquisition dans le secteur de l'ingénierie, nous voyons peu de création de valeur possible pour le 19,50$ reçu en argent et plus de risque que si cet argent était réinvesti dans une utilité publique ou tout simplement retourné en dividende", écrit l'analyste Paul Lechem, de CIBC Marchés mondiaux.
Illustration de la crainte, dans le courant de l'été dernier, la rumeur avait couru que SNC s'intéressait à Kentz Group, une société londonienne, spécialisée dans l'ingénierie et la construction pétrolière. Le titre avait immédiatement cédé 4%.
La difficulté est que les activités d'ingénierie de SNC se négocient à des multiples nettement plus faibles que ceux des acquisitions potentiellement en mire. Il y a un peu de flottement parce que personne n'accorde la même valeur aux concessions, mais disons que l'on s'entend généralement pour dire que les activités d'ingénierie se négocient à 6,5 fois le BAIIA, alors que les cibles d'acquisition sont souvent à 8 ou 10 fois le BAIIA. Si vous achetez quelque chose à 10 fois le BAIIA et que le marché décide ensuite de continuer d'appliquer au bénéfice acheté le multiple de 6,5 fois qu'il vous appliquait, vous détruisez de la valeur. Il aurait sans doute mieux valu ne pas faire la transaction et retourner l'argent aux actionnaires.
En conférence de presse, monsieur Card a indiqué qu'il voulait qu'une éventuelle acquisition soit accréditive au bénéfice de SNC. Ce qui nous a amené à lui demander comment la chose pourrait être possible, étant donné la situation de multiples. Il a fait allusion à de possibles montages financiers, sans être très spécifique.
Que fera SNC?
Une des solutions préconisée par l'analyste Maxim Sytchev, de Dundee, serait que la société montréalaise commence par procéder à un important rachat d'actions. Ce qui devrait alors faire remonter la valeur de ses actions, et conséquemment la force de ses multiples.
Il est possible que ce soit ce que monsieur Card ait à l'esprit.
Si une occasion se présente, l'entreprise ne devrait de toute façon, à notre avis, pas trop longuement s'interroger sur la situation. Son plan de match est à long terme. Et si SNC-Lavalin réussit "à nettement plus que doubler son bénéfice" sur cinq ans, les multiples se réajusteront par eux-mêmes dans le temps. Ce qui initialement n'était pas accréditif, le deviendra alors. Tout est question de confiance.
Beaucoup d'actionnaires critiqueront assurément sur le coup.
Mais il faut parfois savoir dompter le marché.
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