BLOGUE. Est-il possible de sortir 56 M$ d’une multinationale du Québec sans que personne ne soit un jour capable de dire où est allé cet argent?
C’est en tout cas la conclusion à laquelle en vient le rapport d’enquête commandé par le conseil d’administration de SNC-Lavalin. L’affaire concerne ces fameuses dépenses affectées à des projets auxquels elles n’appartenaient pas.
D’abord un rapide coup d’œil sur les faits.
Essentiellement, le rapport permet de voir qu’il ne s’agissait pas d’un seul, mais de deux événements.
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En 2009, l’ancien grand patron de la division construction de SNC, Riadh Ben Aïssa, a une première fois engagé un agent (démarcheur) pour aider à obtenir une participation dans un projet. La présence de faux documents fait en sorte qu’on ne sait trop qui était cet agent et quel contrat il tentait d’obtenir. En fait, on ne sait même pas s’il a fourni une prestation de service. On sait cependant que deux paiements totalisant 22,5 M$ US lui ont été effectués en 2010 et 2011. Le chef de la direction financière a eu connaissance de l’irrégularité et l’a signalée au président Pierre Duhaime, qui a quand même avalisé le paiement.
En 2011, Riadh Ben Aïssa a de nouveau indiqué avoir engagé un agent pour l’obtention d’un contrat. Même situation que plus haut. On ne sait pas qui a été engagé, ni ce qu’il a fait. Cette fois, plutôt que de passer par sa division, monsieur Aïssa semble cependant avoir suivi la procédure en place et demandé au chef de direction et au patron de SNC International de faire un paiement de 33,5 M$ US. Ceux-ci ont refusé et le dossier est monté chez Pierre Duhaime qui, de nouveau, a autorisé le paiement.
Incapable de dire où est allé l’argent, SNC estime cependant qu’il n’est vraisemblablement pas allé en Libye.
Que penser de cela?
L’enquête répond à un certain nombre de questions, mais en soulève d’autres tout aussi intrigantes.
Le fait que SNC estime que l’argent n’est vraisemblablement pas allé en Libye est une indication qu’elle en sait plus qu’elle ne veut (ou peut) en dire sur l’histoire.
Quelque chose nous dit qu’elle suspecte la destination prise par l’argent.
Voici pourquoi.
L’entreprise affirme que Pierre Duhaime a pleinement collaboré à l’enquête. Il est surprenant dans cette situation qu’on ne puisse savoir à qui étaient effectués ces paiements, ou à tout le moins à quelles fins ils devaient servir. Le chef de la direction financière et le président de SNC International avaient refusé d’autoriser le paiement de 33,5 M$. La décision a été déférée à monsieur Duhaime. Il doit forcément avoir posé des questions sur le pourquoi de ce paiement et à qui il était effectué.
Les contrats étaient en outre trop importants en valeur pour que l’on puisse ici parler d’une simple question de « rubber stamping » de la part de monsieur Duhaime. SNC indique que les contrats d’agence ont en moyenne été de 700 000$ dans les trois dernières années. On parle ici d’ententes de 22 M$ et 33,5 M$ US.
À l’évidence, on visait de grosses cibles et des noms ont dû être fournis.
Pourquoi SNC demeure-elle silencieuse?
Les preuves lui manquent sans doute.
Vivement une intervention rapide de la GRC et Interpol pour tenter de faire plus de lumière sur ce qui s’est passé.
En attendant, monsieur Duhaime ne paraît pas très bien, ni le conseil d'administration lorsqu'il indique qu'il aura droit à une indemnité de départ. S'il collabore à l'enquête, il doit avoir expliqué à quoi allaient servir des paiements d'une telle importance et pourquoi on tentait de les inscrire à d'autres projets. On est pourtant toujours incapable d'expliquer leur finalité.
La suite des choses pour les investisseurs?
La suite des choses pour les investisseurs?
Évidemment, il faudra du temps pour obtenir plus de lumière. Dans l’intérim la question est davantage de savoir si les gestes sont isolés, ou s’il se trouve un système de pots-de-vin chez SNC, système auquel il faut désormais mettre fin.
La deuxième hypothèse n’est pas sans risque pour le carnet de commandes. S’il y a un système de pots-de-vin et qu’on y met fin, les contrats pourraient être moins abondants.
Bien qu’il soit impossible de conclure avec certitude sur cette question, le président du conseil, Gwyn Morgan, s’est montré assez convaincant dans son plaidoyer pour des incidents isolés. Bâtisseur d’EnCana, monsieur Morgan possède une rare crédibilité au Canada anglais et ne veut certainement pas la perdre. On notera en outre que la direction financière avait repéré les deux faux pas, ce qui laisse croire que les mailles du filet anti-corruption fonctionnent, à tout le moins lorsqu’il s’agit de gros contrats. S’il y avait d’autres cas d’importance, il y a une présomption qu’ils seraient aujourd’hui sortis.
On se garderait néanmoins de dire qu’il est temps de faire le plein d’actions de SNC Lavalin.
La société estime que son bénéfice 2012 devrait être identique à celui de 2011. C’est nettement en bas de ce qu’attendait le marché.
Il y a eu beaucoup de confusion lors de la conférence téléphonique. Et il semble que l’aperçu de la direction puisse intégrer certaines charges extraordinaires. Il n’en reste pas moins qu’en excluant les activités de son portefeuille d’infrastructures, plusieurs analystes voient maintenant le consensus des bénéfices de SNC descendre de 2,35$ par action à 1,60$.
Historiquement, le titre s’est négocié à 15 fois le bénéfice attendu, mais, dans le contexte actuel, il est douteux que l’on applique un multiple supérieur à 12. C’est donc 19$ de valeur qui devrait être accordée aux activités d’ingénierie. Somme à laquelle il faut ajouter une vingtaine de dollars pour la valeur estimée de son portefeuille d’infrastructures.
Résultat : un cours qui devrait se situer autour des 39$.
Les investisseurs achètent actuellement à plus de 41$. Une autre valeur dont on n’est pas trop sûr dans cette histoire…