BLOGUE. Il y a des jours comme ça où rien ne va comme on l’aurait souhaité. Parlez-en à SNC-Lavalin, qui présentait lundi matin son nouveau patron à la communauté financière.
Appel pour se joindre à la conférence téléphonique : le préposé répond en anglais et ne traite la demande qu’en anglais. Mauvais départ pour une société qui marche déjà sur des œufs parce que son nouveau chef de direction n’est pas bilingue (Robert Card dit cependant s’y mettre).
Période de questions des journalistes : l’appel se termine après trois ou quatre interventions seulement, sans que l’on ait personnellement pu poser nos questions. Pas de mauvaise volonté, la faute de la technologie, explique-t-on, le système indiquait qu’il n’y avait pas d’autres questions…
SUIVRE SUR TWITTER: F_POULIOT
L’imprévu le plus embarrassant cependant, ce titre de La Presse : SNC-Lavalin et CUSM, 22 M$ pour obtenir le chantier.
Le quotidien soutient que la Sûreté du Québec enquête et croit que l’un des fameux paiements toujours inexpliqués de SNC, que l’on pensait avoir abouti en Afrique, pourrait plutôt avoir servi à obtenir la construction du Centre universitaire de santé McGill.
Lors de la conférence téléphonique, l’entreprise n’a pas voulu commenter.
Que le pot-de-vin ait été versé outre-mer était condamnable, et donnait bien des casse-tête aux dirigeants. Ils pouvaient cependant entrevoir que le carnet de commandes ne serait pas trop affecté. Le secteur de l’ingénierie dans son ensemble a la réputation de faire quelques entorses à l’éthique lorsqu’il faut gagner des contrats dans des juridictions émergentes où les règles de droit sont floues. Comme beaucoup, SNC avait triché, mais dans l’esprit de bien des clients, elle n’était pas pire que les autres.
Que de la corruption ait été effectuée ici, dans la cour même de l’entreprise, est cependant plus dangereux. Si on était administrateur chez SNC-Lavalin, cette fois nos nuits seraient plus troublées.
La loi québécoise prévoit qu’en cas de condamnation pour corruption, une licence peut être suspendue ou révoquée. Dans le cas de son maintien, une entreprise ne pourra néanmoins plus soumissionner pendant cinq ans sur des contrats publics.
On voit tout de suite le changement de registre. Si SNC a triché avec le CUSM, il ne s’agit plus maintenant de pouvoir continuer à convaincre des clients de faire affaires avec elle, il s’agit désormais de l’État qui peut potentiellement lui interdire de faire des affaires avec des clients.
Bah, le Québec est une goutte d’eau dans le carnet de commandes, dîtes-vous.
Peut-être. SNC ne donne pas le poids de la province dans son carnet. Mais si le Québec est une goutte d’eau, c’est parfois une grosse goutte. À eux seuls, les contrats du CUSUM et de l’hôpital Sainte-Justine sont réputés encore représenter pour autour de 1 G$ de valeur sur un carnet de commandes total de 9,3 G$.
Là ne s’arrête d’ailleurs pas le problème. La Commission Charbonneau a permis de constater la semaine dernière que la mafia est bien active en Ontario. Que feront les autres provinces lorsque le rapport arrivera au gouvernement du Québec et se traduira par une série de nouvelles mesures? Il y a risque que ce qui a commencé comme une lutte provinciale ne devienne une lutte nationale et que d’éventuelles condamnations n’entraînent les mêmes sanctions. Or, les analystes évaluent que le Canada pèse pour entre 50 et 75% du carnet de commandes de SNC.
Assurément dangereux pour SNC?
Assurément dangereux pour SNC?
Non.
Il faut d’abord que les allégations qui viennent de faire surface soient prouvées. Les faits seront en outre très importants.
Il existe ensuite un méandre juridique dans lequel il est à ce stade impossible de naviguer. À la Régie du bâtiment, SNC est enregistrée sous une demi-douzaine de licences. Une infraction à la société mère aurait-elle pour effet de faire planer une menace de révocation sur l’ensemble de ses filiales? C’est fort douteux.
Même en ne s’attardant qu’à la société mère, où à la filiale en cause, il est aussi fort plausible que SNC ne soit que la victime de gestes isolés. Il pourrait être plaidé que dans cette circonstance, elle devrait échapper aux sanctions. Son conseil d’administration est présumé ne pas avoir été au fait des gestes frauduleux et ses actions ultérieures tendent à accréditer la présomption.
Nul doute que les centaines d’emplois en jeu ne seraient pas non plus sans poids dans les décisions à rendre.
Quand même, les dernières allégations ne sont pas rassurantes sur les pratiques de l’entreprise. On pouvait comprendre que l’envie et le contexte concurrentiel ait eu raison du code d’éthique de SNC dans certaines juridictions étrangères. Qu’elle ait tenté une si vaste manœuvre de corruption au Canada –où les règles sont dîtes moins république de bananes- amène cependant à se demander si elle ne jouait pas en fait incorrectement un peu partout, avec des approches et des montants qui pouvaient être moins facilement détectés à la comptabilité.
C’est pour cela que les nuits des dirigeants de SNC devraient normalement être plus troublées.
SUIVRE SUR TWITTER: F_POULIOT