Quelle est l'ampleur des avantages que Québecor recherche, et avec quels partenaires discute-t-elle de son expansion dans le sans-fil au Canada anglais?
C'est avec ces interrogations à l'esprit que l'on est entré jeudi à l'assemblée annuelle de Québecor, et c'est avec celles-ci que l'on en est ressorti.
La société avait pris beaucoup de monde par surprise, la veille, en affirmant pour la première fois avec force qu'elle était déterminée à devenir le quatrième joueur de téléphonie sans-fil au Canada, si les conditions qu'elle considère nécessaires sont remplies.
Que veut Québecor?
Avant tout, une nouvelle réglementation qui lui procure, à elle, et aux nouveaux entrants (Wind, Mobilicity, etc.), des tarifs d'itinérance avantageux.
L'itinérance est le fait pour un réseau établi de prendre en charge les appels ou la transmission de données d'un utilisateur client d'un autre réseau. Lorsqu'un abonné de Vidéotron sort du réseau de Québecor par exemple, c'est le réseau de Rogers qui relaie les communications, moyennant un prix d'itinérance payé par Québecor.
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Québecor estime que les prix d'itinérance demandés par Bell, Rogers et Telus visent à empêcher les nouveaux entrants de lutter à armes égales et à protéger leur position oligarchique. Elle n'est pas seule. Le Bureau de la concurrence est intervenu en début d'année devant le CRTC pour dénoncer la situation. Et le CRTC a découvert que les trois sociétés facturaient effectivement des frais qui étaient plus élevés que les frais qu'elles chargeaient à leurs propres clients (souvent des sociétés américaines).
Quelle est l'ampleur de l'avantage recherché?
Pierre Dion, pdg de Québecor, n'a pas voulu s'avancer, mais a indiqué qu'il souhaitait pouvoir être sur un pied d'égalité avec Bell, Rogers et Telus.
Pas de certitude, mais voici ce que l'on croit.
Le gouvernement fédéral a annoncé au budget que jusqu'à ce que le CRTC se prononce sur une nouvelle politique, il serait interdit aux trois grands d'imposer aux nouveaux entrants des frais d'itinérance de gros plus élevés que ceux qu'ils chargent à d'autres clients (comme par exemple les sociétés de téléphonie américaines).
Barclays croit qu'avec cette mesure, le prix moyen des tarifs d'itinérance de gros pourrait maintenant être autour de 0,08-0,10$/ minute pour la voix, de 0,03 -0,05$ par gigaoctet pour les données, et de 0,01$/message texte.
The SeaBoard Group, qui a fait une analyse des différents forfaits tarifés au particulier, en vient pendant ce temps à la conclusion que les meilleurs prix proposés à un client de détail (un monsieur tout le monde grand utilisateur) sont les suivants: moins de 0,006$ par minute pour la voix et 0,0045$ (moins d'un demi cent) par gigaoctet pour les données.
Portons attention à la déclaration de monsieur Dion. Il a bien dit souhaiter vouloir être sur un pied d'égalité avec Bell, Rogers et Telus. Et, dans un communiqué de la veille, l'entreprise réfère justement à l'étude du Seabord Group pour demander une baisse de prix.
Si l'on comprend bien, c'est ce type de prix qui pourrait être recherché par Québecor comme prix d'itinérance. Il ne s'agit pas de peanuts, mais de prix qui baisseraient de 80 à 90%.
Impossible de savoir quelle serait la perte de rentabilité pour les grands joueurs, ni quel serait le gain de rentabilité pour les nouveaux entrants (en pourcentage de leurs dépenses), monsieur Dion n'a pas voulu s'avancer là-dessus non plus.
Attendez-vous cependant à ce que ça rue prochainement dans les brancards chez les gros joueurs. Une importante portion de leurs revenus semble à risque, et on ne manquera pas de les entendre plaider qu'ils ont droit à des rendements potables sur les investissements qu'ils effectuent dans leurs infrastructures.
L'autre grande interrogation: Verizon est-elle dans le coup?
L'autre grande interrogation: Verizon est-elle dans le coup?
Québecor n'a pas caché qu'elle pourrait acquérir des joueurs de la téléphonie existants. Elle n'a en fait guère le choix. Il lui faut plus de spectre que ce qu'elle possède pour déployer son réseau, et il est probable qu'il lui coûterait beaucoup plus cher de déployer un réseau de distribution pancanadien à partir de zéro.
À ce jour, peu d'analystes se sont risqués à chiffrer ce que pourrait coûter une expansion en sol canadien. Mais Canaccord Genuity évaluait récemment que l'acquisition de Wind et de Mobilicity, combinée à la construction d'un nouveau réseau LTE dans le reste du Canada, pourrait coûter 1,6 G$. C'était sans compter les pertes d'exploitation des premières années. En ajoutant la construction du réseau LTE en partenariat avec Rogers au Québec, on grimpait à des investissements nécessaires de 2 G$.
C'était avant que Québecor ne présente sa demande sur les frais d'itinérance. Si la situation financière de Wind et Mobilicity s'améliore en raison d'interventions du gouvernement, quelque chose nous dit que leur valeur grimpera, et que l'on défoncera les 2 G$.
Or, Québecor a beau avoir de bons flux de trésorerie, à 3,2 fois le BAIIA sa dette demeure relativement élevée. Il est douteux qu'elle puisse s'aventurer seule dans pareille aventure.
Monsieur Dion a notamment parlé de partenaires financiers. Il faudra assurément de nouvelles injections financières, sous forme de prêts ou d'investissements. La Caisse sera-t-elle partante pour du financement? Autre question demeurée sans réponse, le représentant au conseil de la Caisse n'étant pas à l'assemblée annuelle.
On a cependant cru comprendre que Québecor recherchait aussi un partenaire stratégique minoritaire.
Dans l'Ouest, Shaw a du spectre, qu'elle souhaite vendre à Rogers. Mais les autorités se font tirer l'oreille. Il ne serait pas surprenant que Québecor ait parlé à Shaw. Celle-ci avait cependant fait une croix sur son sans-fil et s'était lancé dans d'importants investissements dans ses infrastructures de fibre optique. Il est douteux qu'elle soit philosophiquement et surtout financièrement prête à s'engager dans un nouveau projet de téléphonie.
Qui d'autres?
La société française Orange avait manifesté, il y a quelques mois, de l'intérêt pour le marché du sans-fil canadien. Uniquement cependant pour acheter de la capacité de réseau et ensuite la revendre à des abonnés. En raison d'une forte présence de Français au Québec. Il ne s'agissait pas d'investir dans la construction d'un réseau national, et la démarche semblait plus opportuniste que stratégique. Peu probable.
Toute la journée, un nom nous est revenu à l'esprit: Verizon.
Il y a un an, Pierre Karl Péladeau avait pris tout le monde par surprise en lançant dans les médias une lettre ouverte où il invitait le fédéral à rester ferme dans sa volonté d'introduire de la concurrence et de favoriser l'arrivée de Verizon au Canada.
Verizon semblait en outre à l'époque nettement plus intéressée par le marché de l'Ontario que par celui du Québec.
C'est la partenaire qui semble la plus sérieuse. Mais la forme de l'entente ne serait sans doute pas simple.
Gagnant, une expansion sans-fil?
On a de grands doutes. Même avec Verizon. Parce que Québecor ne serait pas capable d'offrir de bouquets de services (téléphonie traditionnelle, Internet, télé) et que le consommateur a tendance à choisir le fournisseur de service sans-fil qui lui fournit déjà les autres services. Bell, Rogers et Telus n'auraient qu'à ajuster leurs prix.
Ce serait sanglant pour tout le monde. On y reviendra un autre jour.
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