Ça y est, la décision est tombée. À compter de janvier, La Presse n'existera plus sous forme papier en semaine. Seule l'édition du samedi restera disponible.
Évidemment, une restructuration est à venir. Il est évident qu'un certain nombre d'employés qui avaient été engagés pour permettre de rouler en tandem La Presse papier et La Presse + seront licenciés. C'est assurément le cas des employés du réseau de distribution en semaine (l'édition du samedi est déjà distribuée par des indépendants).
La Presse emploie actuellement autour de 700 salariés, dont 290 dans sa salle de rédaction. On n'a pas de chiffres sur le nombre de licenciements à venir, l'éditeur Guy Crevier voulant par courtoisie informer au préalable les employés touchés. Plus de détails doivent venir le 24 septembre.
À vue d'œil, une quarantaine d'employés de la rédaction pourraient être à risque pour le 24 septembre. Monsieur Crevier a en effet indiqué à notre collègue Denis Lalonde que «La Presse+ était capable de soutenir une structure de 250 employés et plus».
Bien que ces coupes n'aient rien de réjouissantes, elles étaient déjà au programme. Et personne n'en sera étonné.
Lisez également le blogue de René Vézina: Pour La Presse, est-ce vraiment le bon choix?
La question qui se pose aujourd'hui est plutôt avec quelle force fonctionne le modèle actuel de La Presse+, et s'il faudra éventuellement couper dans l'effectif au-delà du contingent attaché au papier. Dit autrement, si d'autres coupes ne seront pas nécessaires après celles d'équilibrage du 24 septembre.
Interrogé sur la rentabilité de La Presse+, Guy Crevier a en effet dit que le modèle de La Presse+ à l'an 1 (sans le papier en semaine, et après l'élimination des emplois en surplus) était «viable». Or, «viable» ne veut pas dire «rentable». Réticent à fixer un horizon, l'éditeur de La Presse a finalement dit croire que la rentabilité serait au rendez-vous d'ici deux à trois ans.
Avec le même effectif?
Il manque beaucoup de chiffres pour faire une analyse exhaustive de situation, mais quand même, quelques observations. Deux constats en fin de texte.
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Le lectorat est en retard, mais l'objectif de fréquentation n'est pas hors d'atteinte
À la fin avril 2013, dans une entrevue qu'il nous accordait, monsieur Crevier avait indiqué avoir pour objectif un auditoire de 400 000 usagers pour le mois de décembre (2013). À ce niveau, il pourrait alors remonter les prix de la publicité et «on ne serait plus très loin de la rentabilité».
Avec un peu de retard, cette marque du 400 000 usagers a été atteinte en septembre 2014.
Les chiffres publiés hier font état d'un bond à 465 926 usagers dans la dernière semaine d'août. C'est une augmentation de près de 20%.
Disons qu'on s'attendait personnellement à plus. Mais ce n'est pas d'une si grande importance.
Le nombre d'usagers n'est peut-être pas au niveau où on l'anticipait initialement sur une base calendrier, mais l'objectif fixé de fréquentation semble néanmoins atteignable. Un certain nombre des 81 000 lecteurs papiers de la semaine devraient migrer vers la tablette et la pénétration de celle-ci se poursuivra dans les prochaines années au Québec.
Le prix de la pub est bon, mais il nous manque d'éclairage
Un des enjeux lié à la viabilité de La Presse+ a toujours résidé dans le prix de sa publicité. Trop cher par rapport à la portée, disaient certains.
Le prix actuel semble plutôt bon et justifiable. Monsieur Crevier a parlé d'un CPM moyen de 47$ à 50$, ce qui veut dire qu'à chaque mille affichages d'une publicité, La Presse reçoit 47$-50$.
Dans le marché du Québec, nous dit un super connaisseur, le prix est généralement autour de 12-14$ du mille affichages. C'est une grande différence, et le premier réflexe est de dire que les prix de La Presse+ ne peuvent tenir. Mais ce 12-14$ est pour de la bannière et du big box. On n'est pas du tout dans la même ligue.
Apparemment, RDS vend aussi ses vidéos à un CPM autour de 50$. V Télé et Radio-Canada sont, semble-t-il, pas très loin de ce tarif également.
Les prix de La Presse+ semblent donc concurrentiels.
Une donnée importante nous manque toutefois: quel était le CPM prévu au plan initial? Un écart important aurait un impact sur la rentabilité et sur l'effectif qu'on pensait initialement conserver.
Lors de la première majoration de prix (au printemps 2014), qui coïncidait avec l'atteinte des 400 000 usagers visés, La Presse avait porté le CPM de sa carte de tarifs autour de 100$. Comme il s'agissait du premier relèvement, il est probable qu'elle avait suivi son plan initial. À première vue, l'écart est important avec le prix actuel (100$ versus 47$), mais notre super connaisseur nous dit que d'importants escomptes de volume ne sont pas rares dans l'industrie, que le prix affiché n'est jamais celui payé, et qu'il est possible que, s'il n'est pas en ligne avec le prix initial espéré au plan d'affaires, le CPM actuel de La Presse n'en soit quand même pas trop loin.
On a personnellement un doute. Les escomptes se sont apparemment accentués dans les derniers mois (ce qui peut avoir forcé à laisser aller plus que que ce qui était planifié). Quelque chose nous dit que l'on n'est pas sur la marque ici, mais rien ne l'établit. Ce n'est qu'un sentiment.
Les économies d'impression et de distribution: une autre interrogation
Les économies d'impression et de distribution: une autre une interrogation
Ici aussi se trouve une interrogation.
Au lancement du projet, en 2011, Gesca disait s'attendre à des économies d'impression et de distribution de 80M$ (le chiffre de 90M$ avait aussi circulé) suite l'abandon du papier.
Monsieur Crevier nous indiquait mercredi que continuer à imprimer le journal en semaine aurait coûté 30M$ par année en impression et en distribution.
La récupération n'est en apparence que de 30M$.
Cela dit, entre la déclaration sur le 80M$ de récupération envisagé et aujourd'hui, il s'est aussi réalisé diverses économies. Le tirage du journal en semaine est passé de 163 000 exemplaires à 81 000 exemplaires. C'est pas mal moins de journaux imprimés et des économies substantielles qui ont nécessairement été obtenues.
En fait la question est de savoir si l'édition papier du samedi couvre ses coûts ou si elle n'est maintenue qu'à des fins stratégiques afin de mousser en combo l'offre publicitaire tablette. Le réflexe est de dire que l'édition du samedi est très payante. Il n'y a pas de doute lorsqu'un réseau de distribution est amorti sur six jours, mais il n'est pas clair comment fonctionne le réseau d'indépendants du samedi et quels sont les coûts qu'il demande à La Presse.
Ici aussi notre impression est qu'on est un peu sous la cible de récupération, mais rien pour l'établir.
Là où ça pourrait être mieux que prévu
Il y a quelques mois, La Presse passait une entente avec Torstar pour le développement et l'utilisation de sa recette tablette. On ne sait trop combien de revenus La Presse tire de cette entente.
Mais, de souvenir, monsieur Crevier ne comptait pas initialement sur beaucoup de revenus supplémentaires de ce côté. Or, le paysage semble maintenant plus intéressant.
La technologie et le savoir-faire des équipes de La Presse+ intéressent apparemment plusieurs éditeurs. Depuis quelques mois, des bruits nous parviennent à l'effet que Gannett, qui est notamment l'éditeur du USA Today, est en discussions avec Gesca.
Au final?
Récapitulons.
Ça semble un peu plus lent que ce qui était initialement prévu sur la fréquentation, mais le nombre d'usagers nécessaire pour la rentabilité semble toujours atteignable. Il n'est pas sûr que l'on soit tout à fait sur la marque pour les revenus publicitaires anticipés. Idem pour les économies d'impression. Le potentiel de revenus externes semble cependant être plus intéressant qu'initialement anticipé.
Premier constat: il faudra vraisemblablement encore quelques mois avant de savoir si l'effectif initial de La Presse+ restera intact.
Deuxième constat: il faut aussi garder à l'esprit que, sans ce projet novateur, dans lequel plusieurs millions ont été investis, l'effectif journalistique de La Presse (de même que l'effectif total) aurait été condamné à des coupes beaucoup plus importantes dans le temps. C'est l'hécatombe dans l'imprimé et la rentabilité continue de chuter partout. Dans le secteur médiatique, personne n'y est allé d'un effort social aussi important.
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