Québecor trouvera-t-elle des partenaires pour investir dans les nouveaux Nordiques? Le doute est grand, et c'est tout un défi de persuasion qu'elle a devant elle.
Plusieurs ont été surpris la semaine dernière en apprenant que l'entreprise cherchait des partenaires pour investir dans l'éventuelle équipe de hockey. En y regardant de plus près, ce n'est pas si surprenant. Québecor veut racheter la participation de la Caisse de dépôt dans Québecor Media, c'est un investissement que TD Valeurs mobilières évalue actuellement à 2,3 G$. Elle a aussi un projet d'expansion dans le sans-fil au Canada anglais, qui n'a jamais été quantifié, mais qui veut dire plusieurs autres millions à sortir.
Puis, il y a les Nordiques, auxquels le commissaire Gary Bettman a mis un prix d'au moins 500 M$ US, ce qui veut dire 650 M$ CAN.
En conférence téléphonique, le grand patron Pierre Dion a indiqué que la direction voulait gérer prudemment son endettement. Sachant que ces projets équivalent à peu près à la valeur boursière de Québecor, on peut comprendre que l'entreprise souhaite partager des risques.
Est-ce à dire que des partenaires se pointeront?
On s'est amusé à examiner le dernier classement de Forbes sur la rentabilité et la valeur des franchises de la LNH. Constat: ce n'est assurément pas dans la poche.
SUIVRE SUR TWITTER: F_POULIOT
Le nouveau contrat de télévision de la LNH au Canada a significativement fait grimper la valeur des franchises, et le rendement auquel peut s'attendre un investisseur dans la nouvelle équipe des Nordiques n'est pas, en apparence, accompagné d'un très bon signal d'investissement.
Voyons-y de plus près.
Sur une base de bénéfices, il n'y a pas de signal
Le marché comparable que l'on aime le mieux est Winnipeg. Les Jets avaient été vendus à peu près à la même époque que les Nordiques, parce que leur marché était douteux. Ils sont revenus, et sont rentables.
Forbes évalue que les Jets ont réalisé en 2013-14 un bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) de 3,3 M$ US.
Certains diront que ce bénéfice a été plus important cette année (2014-15, résultats à paraître) parce que l'équipe bénéficiera de droits de télévision plus élevés, grâce à l'entente historique qui y a pris effet. Ça se pourrait. Mais peut-être pas l'année suivante, ni la subséquente. Les chiffres de Forbes sont en effet tirés d'un dollar à 0,93$ US. Il a depuis reculé à 0,77$ US. Les équipes ont probablement utilisé des opérations de couverture sur le marché à terme des devises, mais ces protections n'ont qu'un effet temporaire dans le temps.
Restons donc avec un bénéfice de 3,3 M$ US.
Règle générale, dans le type de risque associé à cet investissement, un investisseur cherchera à récupérer sa mise sur un horizon de cinq ans. C'est ce qu'on appelle le payback. Les plus patients étireront jusqu'à 10 ans. Et l'on rentrera les coûts du service de la dette dans le calcul (que l'on ne fera pas ici).
Quel sera le payback si les futurs Nordiques génèrent un bénéfice de 3,3 M$ US? Sur un investissement de 500 M$ US, c'est un horizon de… 150 ans.
C'est vrai, les Jets n'ont pas la machine promotionnelle que détient Québecor. Peut-être la région d'Ottawa est-elle en fait, un meilleur comparable que Winnipeg. Toujours selon Forbes, les Sénateurs ont généré en 2013-14 un bénéfice (BAIIA) de 22,5 M$ US. C'est nettement mieux. Mais, même avec cette rentabilité, il faut plus de 22 ans pour rembourser sa mise.
Le signal sur les bénéfices demeure peu intéressant.
Oui mais le groupe Molson a payé cher, lui aussi, en 2010, lorsqu'il a acheté le CH pour 575 M$ US, dira-t-on. Et il fait de l'argent sur son placement.
Cher oui, mais pas aussi cher que ce que l'on semble devoir payer pour les Nordiques, toutefois. En 2010, Forbes estimait le BAIIA du CH à 53,1 M$ US. C'est dire que le payback était à peine d'un peu plus de 10 ans. Et encore, c'était peut-être moins, puisque le prix payé ne comprenait pas que l'équipe de hockey, mais aussi les autres activités du Centre Bell. Il y a une certaine imprécision dans les chiffres de Forbes sur l'étendue des activités prises en compte dans les évaluations.
Y a-t-il un risque de perte sur un placement dans les Nordiques?
Y a-t-il un risque de perte sur un placement dans les Nordiques?
Lorsque les Nordiques étaient partis, les craintes étaient que leur rentabilité tombe dans le négatif et que d'importantes pertes d'exploitation soient enregistrées.
Ce risque est présent, mais, comme on l'a vu, ce n'est pas vraiment celui qui est envisagé ici (des bénéfices sont anticipés).
La question se situe aujourd'hui plutôt sur la valeur de l'investissement dans l'avenir.
On a vu qu'à moins d'une performance opérationnelle exceptionnelle de Québecor qui propulse la rentabilité des Nordiques bien au-delà de celle d'Ottawa, le signal d'investissement sur les bénéfices était peu intéressant.
Il y a cependant un autre facteur que les bénéfices en eux-mêmes susceptible de faire évoluer la valeur d'un actif. C'est ce qu'on appelle personnellement "le mécanisme du trophée de chasse". C'est sur celui-ci que fonctionne le milieu des arts, où des tableaux partent parfois pour des fortunes. Il n'y a pas de flux monétaires attachés à une œuvre d'art, simplement un jeu d'offre et de demande sur la base de comparables et d'un effet de rareté.
Il semble y avoir actuellement dans les évaluations des équipes professionnelles de la LNH, beaucoup de cet effet "trophée de chasse".
Ainsi, le Canadien, qui valait plus ou moins 575 M$ US en 2010 avec un BAIIA de 53,1 M$, vaut aujourd'hui, selon Forbes, 1 G$, même si son BAIIA n'est qu'à 59,8 M$ US. Le bénéfice n'a avancé que de 12,6%, mais la valeur de l'équipe a grimpé de 75%.
Toujours à cause du phénomène "trophée de chasse", même s'ils ne génèrent que 3,3 M$ de bénéfices (BAIIA), les Jets sont évalués à 358 M$ US par Forbes. L'effet est moins grand à Ottawa, où, avec un bénéfice de 22 M$ US, la franchise n'est évaluée qu'à 400 M$ US.
Quel pourrait être l'effet "trophée de chasse" sur la valeur de la franchise de Québec?
C'est difficile à dire. Mais sur la base de trophées dans des marchés comparables, selon les scénarios de Forbes, en payant 500 M$ US pour une franchise, Québecor pourrait être exposée à une perte de valeur de 100 M$ si elle parvient à générer une rentabilité apparentée à celle d'Ottawa, et de 150 M$ si cette rentabilité est apparentée à celle de Winnipeg.
On notera au passage que la LNH dit que la valeur moyenne de ses franchises est actuellement de 490 M$ US. À première vue, ce peut être un début d'argument pour plaider que 500 M$ est un juste prix pour une équipe d'expansion. L'argument manque cependant de force. Seulement 11 des 30 équipes ont une valeur équivalente ou supérieure à cette moyenne au classement de Forbes. La valeur médiane de 400-420 M$ semble plus appropriée.
Pourrait-il néanmoins y avoir création de plus-value à partir d'un prix de 500 M$ US?
Il n'est pas facile de voir comment une création de valeur significative pourrait survenir sur l'horizon d'investissement de cinq ou dix ans auquel on référait en début de chronique.
Quelques franchises battent de l'aile, et, après l'éventuelle expansion, il ne restera plus beaucoup de marchés capables d'en accueillir avec de meilleures perspectives de rentabilité. L'intérêt pour des concessions est faible, comme le démontre le dernier appel de candidatures de la LNH. Ce n'est pas un très bon signal pour faire augmenter "l'effet trophée de chasse".
Du côté des bénéfices, une bonne partie des retombées du pacte canadien de 5,2 G$ US pour les droits de télé (et ses répercussion sur le pacte US qui expire dans six ans) semble déjà avoir été anticipée dans les évaluations de Forbes. Malheureusement, à la date de ce classement et de l'établissement des valeurs, la dégringolade du dollar canadien, elle, n'était pas encore dans les chiffres.
Au final
La LNH demande trop cher pour le marché de Québec et il faudra vraiment que Québecor soit convaincante sur ses capacités d'opération et les bénéfices qu'elle peut générer pour amener des partenaires.
Évidemment, un éventuel échec à attirer des partenaires ne veut pas dire que Québecor se désistera. Elle est trop engagée dans ce projet, et ses investissements dans l'amphithéâtre de Québec y sont trop reliés. Elle paiera. Son plan d'expansion dans le sans-fil au Canada anglais sera cependant peut-être alors revu, et le spectre qu'elle y a récemment acheté à faible coût, vendu.
SUIVRE SUR TWITTER: F_POULIOT