BLOGUE. Comment Hydro-Québec pourra-t-elle construire pour 47 G$ de nouveaux barrages si elle compte sur le secteur minier pour créer de la demande, mais qu'il est souvent plus avantageux pour les minières de produire au diesel plutôt qu'à l'électricité?
C'est la question que l'on posait jeudi sur ce blogue (Coup de Jarnac avec Stornoway: le Plan Nord d'Hydro vacille) après que la société minière Stornoway eut annoncé que sa mine de diamants fonctionnerait au diesel plutôt qu'à l'électricité.
Un fort intéressant échange avec le ministre des ressources naturelles, Clément Gignac, est cependant venu lever encore plus de voile sur la stratégie que Québec a à l'esprit.
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D'abord, la situation et ce qui était publiquement connu de la stratégie du gouvernement jusqu'à maintenant, avec quelques précisions de monsieur Gignac.
L'entretien avec Thierry Vandal
Il y a quelques semaines, le président d'Hydro-Québec confiait en entrevue éditoriale que l'électricité devrait être vendue aux minières du Plan Nord au prix coûtant plus une marge de bénéfice. Sur la base du coûtant de La Romaine (6,5 cents) et en fonction de la marge habituelle d'Hydro, monsieur Vandal évaluait que le prix de vente devrait être autour de 9 cents le kilowattheure.
Sans vouloir se commettre définitivement sur un chiffre, Clément Gignac confirme qu'il s'agit de l'ordre de grandeur que les minières qui exploitent dans le nord devraient s'attendre à payer.
Il nuance cependant en indiquant que certaines, qui produisent non loin des zones actuelles, comme en Abitibi, pourraient continuer de se voir octroyer le tarif L. Celui-ci est à 3 cents le kwh, auquel il faut ajouter un tarif de puissance (qui n'est pas le même pour chaque cliente) et une éventuelle pénalité sur période de pointe.
Stornoway postulait mercredi que le gouvernement lui vendrait l'électricité à 5,8 cents. Il apparaît qu'elle était bien en-dessous du prix auquel il a l'intention de vendre la ressource.
Ces précisions apportées pour le bénéfice des acteurs miniers, passons maintenant à l'enjeu principal: les 47 G$ de barrages projetés par Québec sur 25 ans (60% du Plan Nord) sont-ils réalistes?
Le Québec fait actuellement face à d'importants surplus d'électricité.
Toujours lors de la rencontre, monsieur Vandal estimait que le développement hydro-électrique du Québec se ferait dans l'avenir principalement en phase avec le développement de notre secteur minier. Ce qui voulait essentiellement dire que l'effacement des surplus et la justification des nouveaux barrages seraient fortement corrélés aux besoins énergétiques des mines de demain.
D'où le fort doute jeté sur la réalisation des projets d'Hydro lorsque Stornoway a annoncé mercredi qu'elle restait au diesel plutôt que de passer à l'électricité.
Ce qu'est le coeur de la stratégie
Ce qu'est le coeur de la stratégie
À notre grande surprise, monsieur Gignac nous a indiqué jeudi que le projet de Stornoway n'était pas dans les plans d'électrification d'Hydro. "À 14 MW, ce n'est pas réellement une grande demande", a-t-il dit.
Mais, si on ne prend pas la peine d'inclure le projet minier le plus avancé du Plan Nord dans la planification, d'où viendra la demande pour les futurs barrages?, a-t-on demandé.
De la reprise économique, d'un marché de l'automobile américain qui pourrait migrer vers l'électricité et demander de l'électricité verte québécoise, a mentionné en cours de route le ministre. Mais surtout: de l'octroi d'importants blocs d'énergie à des entreprises de transformation.
Il y a apparemment un certain nombre de projets de transformation qui se discutent au gouvernement. Monsieur Gignac n'a pas voulu en préciser le nombre, ni les promoteurs, mais la discussion nous a rappelé que dans une autre rencontre avec Les Affaires, cet hiver, le premier ministre Charest avait fait allusion à des discussions concernant "entre cinq et dix projets" de deuxième et troisième transformation.
Une bonne idée?
La stratégie risque de ne pas être reçue avec force enchantement dans certains milieux. La difficulté avec cette approche est que l'on vendra au tarif L (3 cents le kwh, plus les autres charges préalablement détaillées) de l'électricité qui, sur la base la Romaine à tout le moins, aura coûté au moins 6,5 cents. Bref, pour chaque kilowattheure vendu, Hydro perdra de l'argent.
Le ministre Gignac en est bien conscient, mais ne voit pas les choses ainsi. Il indique que le gouvernement analysera chacun des projets de transformation afin de s'assurer qu'ils rapportent plus à la province qu'ils ne lui en coûtent. Entrent dans le calcul: les salaires élevés des emplois créés, les impôts reçus sur ces salaires élevés, les emplois créés en sous-traitance, la qualité de ces emplois, de même que d'autres engagements des entreprises. "Pour Alouette, illustre-t-il, on a demandé un fonds de développement économique et un pavillon universitaire à Sept-Iles".
Le risque Churchill
Le risque Churchill
Va pour l'évaluation économétrique. Et supposons que l'on suive.
Qu'arrivera-t-il en 2041 lorsque le contrat avec Churchill Falls sera terminé et qu'Hydro, plutôt que de recevoir de l'électricité pratiquement gratuite, devra la payer au prix du marché?
Dépendamment de la façon dont y regarde, il est aujourd'hui possible d'affirmer que Churchill génère jusqu'à 60% des bénéfices d'Hydro-Québec. Est-il sage d'ajouter des blocs d'énergie à perte dans un pareil contexte?
Monsieur Gignac est conscient du choc potentiel et c'est pourquoi tous les contrats de blocs prendront également fin en 2041. Il faudra alors choisir entre une tarification plus élevée de la clientèle résidentielle pour maintenir la rentabilité d'Hydro ou l'abandon de projets de transformation.
À ce moment, dit le ministre, Churchill devrait cependant compter pour une part moins importante dans la rentabilité d'Hydro. Et l'on verra quel est l'état de situation.
Sur l'heure du lunch, on a un peu échangé sur le plan de match avec un ami. Il est vrai que pour les barrages à venir, la rentabilité d'Hydro-Québec encaissera le choc au fur et à mesure de l'octroi des blocs.
Pour les blocs déjà consentis, c'est autre chose.
On réfléchit plus longuement et on y reviendra.