Qu'y a-t-il de plus obstiné et convaincu qu'un gold bug ? Un autre gold bug...
"Je sais que tu nous parles de Benjamin Graham, mais tu n'y crois pas toi non plus. Et vraiment, on a trouvé que tu étais dans le champ avec celle-là."
Ainsi vont les échanges avec certains de nos amis. Celui-là, c'était l'ami courtier, un gold bug (fanatique de l'or) qui, visiblement, n'était pas d'accord avec la chronique "Pourquoi Benjamin Graham reculerait sur l'or".
Force est de constater que le marché de l'or est inversement corrélé à nos pronostics (mieux vaut peut-être vous gouverner en conséquence...). À la fin des années 1990, on ne cessait de dire que l'or était sous-évalué et que son prix était sur le point de remonter. À chaque chronique, un recul. Depuis le début de la nouvelle décennie, chaque fois que l'on invite à la prudence, le voilà qui avance.
Fondamentalement, le pronostic des années 1990 était juste. Un peu tôt peut-être, mais c'est le propre des prophéties d'avoir besoin de temps pour se réaliser... Cette fois, le même feeling prophétique nous habite : l'or est entré dans une bulle.
Évidemment, ce n'est pas sans un certain malaise que l'on a vu il y a quelques jours JP Morgan porter sa cible à 2 500 $ l'once d'ici la fin de l'année. Puis, on a tremblé lorsque l'analyste technique Louise Yamada a prédit que l'or toucherait les 5 000 $ en 2018.
Que voient les optimistes ?
Essentiellement ceci : l'or est historiquement l'actif refuge de premier choix.
La récente décote des États-Unis et particulièrement la tourmente financière dans laquelle est plongée l'Europe font que le risque associé aux obligations de plusieurs pays a augmenté ces dernières semaines.
D'où un premier motif expliquant la forte augmentation de la demande.
Un second motif, concurrent, réside dans les anticipations d'inflation pour les prochains mois.
L'ultime moyen pour les pays comme les États-Unis de résoudre une incapacité de remboursement est d'imprimer des milliards et des milliards de dollars et d'euros supplémentaires. Ce faisant, les prix ne manqueraient pas de monter. C'est ce qui se passe quand il y a plus d'argent dans un système pour le même nombre d'actifs.
Conséquemment, l'or, qui, dans le contexte, serait l'actif le plus recherché, ne manquerait pas de voir son prix monter.
Ont-ils raison ?
Ont-ils raison?
Le raisonnement se défend, mais on est dissident pour un certain nombre de motifs.
D'abord parce que, malgré ce que l'on entend sur toutes les tribunes, il ne semble pas y avoir de preuve historique qu'il existe une relation entre le prix de l'or et l'inflation.
Il y a quelques mois, le Wall Street Journal avait demandé à la firme Ibbotson Associates de lui indiquer la force de la corrélation entre le prix de l'or et l'inflation. Résultat de l'étude pour la période 1978 et 2010 : à peu près aucune corrélation.
Par le passé, d'autres auteurs se sont penchés sur des périodes encore plus étendues et en sont arrivés à la même conclusion.
Parier que l'or grimpera à cause de l'inflation apparaît donc audacieux.
Ok, soyons bon joueur, et concédons qu'il pourrait grimper pour cette raison.
La question devient alors : y aura-t-il de l'inflation ?
Certes, il y en aura un jour. Mais pour justifier la dernière envolée des cours, il faudrait au moins des signes de manifestation au cours des deux prochaines années.
Or, la Fed dit justement vouloir maintenir les taux d'intérêt bas au moins jusqu'au milieu de 2013.
L'une des missions de la banque centrale consiste à gérer l'inflation, de manière à ce qu'elle demeure raisonnable. Si elle entrevoyait un risque inflationniste très élevé, il est probable qu'elle n'y serait pas allée de cette déclaration.
Avec une économie qui ralentit, des entreprises sur les lignes de côté et une surcapacité de l'appareil de production, c'est plutôt de désinflation et de stagnation économique dont on semble s'inquiéter.
En conclusion
En conclusion
Récapitulons donc sur les principaux motifs des gold bugs.
Le système financier international est-il sur le point de s'effondrer ?
Non. Et, bien que le parcours s'annonce tumultueux, il semble plus probable que le résultat des crises budgétaires se soldera par d'importants sacrifices et ralentissements (ou reculs) économiques que par des défauts de paiement ou des ententes de créanciers en série. Les cotes de crédit des pays moteurs de l'économie mondiale, bien que ternies, sont toujours capables d'encaisser une récession. Et les banques centrales peuvent imprimer de l'argent.
De l'inflation ? C'est sans pertinence. Mais même si ce l'était, dans ce contexte de ralentissement ou de recul, il serait étonnant de voir survenir une inflation galopante.
C'est pour ces raisons que l'on estime que le cours de l'or est actuellement en bulle.
Cela ne veut pas dire que les cours ne continueront pas de progresser. Quiconque a gonflé un ballon sait qu'il peut atteindre différents niveaux d'enflure. Le danger est qu'un ballon qui éclate lorsqu'il est gonflé à bloc fait beaucoup plus de dégâts qu'un ballon qui se dégonfle s'il n'est gonflé qu'à moitié.
Oui, oui, on sait, encore dans le champ...
DANS LE DÉTAIL
Sur le radar
L'inflation influe-t-elle sur le prix de l'or?
C'est la question que s'est posée le site goldratefortoday.org. Contrairement à la croyance, la relation est quasi inexistante. Trois périodes le démontrent.
Prix de l'or en fonction de l'IPC mensuel, de 1974 à 1980
Au cours de cette période, le prix de l'or est passé de 129 à 675 $ US l'once, une hausse de 253 %. L'indice des prix à la consommation (IPC) a grimpé de 69 %. Le prix de l'or a mieux performé que l'inflation.
Prix de l'or en fonction de l'IPC mensuel, de 1980 à 2001
Entre 1981 et avril 2001, le prix de l'or a retraité de 675 à 260 $ US l'once, un recul de 61 %. Au cours de la même période, l'IPC a crû de 126 %.
Prix de l'or en fonction de l'IPC mensuel, de 2001 à 2011
De 2001 à 2011, le prix de l'or a connu une progression de 427 %, alors que l'inflation n'a progressé que de 25 %. Contre toute corrélation, on a noté qu'en 2008, l'inflation a fortement reculé mais que l'or a grimpé.
francois.pouliot@transcontinental.ca
blogue > www.lesaffaires.com/francois-pouliot