BLOGUE. Un certain vent de réprobation s'est mis à souffler ces derniers jours à la suite de la décision d'Ottawa de bloquer la vente de Progress Energy à la malaisienne Petronas. Qui devrait être intouchable au Québec ?
C'est une question difficile que celle d'autoriser ou non la vente d'entreprises. Le Financial Times dénonçait d'ailleurs il y a quelques jours la décision fédérale, en affirmant que notre protectionnisme risquait de compliquer l'accès aux capitaux nécessaires au financement de nos projets.
Il est vrai que le Canada et le Québec ont besoin des capitaux étrangers pour pouvoir se développer. Sans eux, il y aurait bien moins d'activité minière et pétrolière au pays sans eux. Le développement du Grand Nord passe en outre par l'investissement étranger.
Il est aussi vrai que certains investisseurs peuvent se montrer plus réticents à investir si la société dans laquelle ils entrent a des possibilités de sortie plus limitées. Il est plus facile d'écouler un bloc d'actions lorsque survient une OPA que sur le marché. Entre deux investissements au potentiel similaire, on choisira celui qui offre la meilleure possibilité de sortie, et qui fait miroiter une prime d'OPA.
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C'est pourquoi il pourrait devenir difficile pour le gouvernement fédéral de bloquer plusieurs transactions dans le domaine des ressources naturelles.
Cela dit, il ne faut pas non plus se laisser prendre au jeu de la réciprocité sans logique. Il faut plutôt expliquer aux grands États que certaines mesures de protection sont nécessaires dans les petits États, pour éviter qu'ils ne perdent trop de leviers et de catalyseurs économiques. En raison du faible nombre de sièges sociaux au Québec, ils pourraient être tous gobés d'ici 10 à 20 ans et ainsi annihiler toutes nos possibilités de courir de par le monde.
Des critères sur lesquels s'appuyer
Tandis qu'Ottawa songe à se doter de critères pour bloquer les transactions défavorables, on peut se demander si Québec ne le devrait pas aussi, en profitant de sa compétence en valeurs mobilières. Avec les collègues Daniel Germain, Stéphane Rolland et Hugo Joncas, on a réfléchi sur une grille de critères qui pourrait être instaurée et sur les sociétés qui devraient être protégées.
Voici nos critères :
> La protection de l'économie, des emplois et des fournisseurs ;
> La préservation de la culture ;
> La conservation de l'expertise stratégique ;
> La sécurité nationale ;
> La préservation d'un actif constituant un fort levier de développement.
Les sociétés dont on protégerait la vente à des intérêts étrangers
Bombardier (BBD.B, 3,73 $). Le joyau de l'aéronautique au Québec. Il répond notamment aux critères des emplois, des fournisseurs, de l'expertise stratégique et de la conservation d'un actif à haut levier de développement.
SNC-Lavalin (SNC, 39,10 $). Le joyau de l'ingénierie au pays. Sa réputation est ternie, mais avec SNC, le Québec et le Canada ont la possibilité de conquérir le monde. Son actif est un fort catalyseur de développement.
Groupe CGI (GIB.A, 25,21 $). La société est aujourd'hui dans le peloton de tête des sociétés nord-américaines d'information technologique. Elle prend de l'expansion en Europe et est un levier stratégique important pour le Québec dans un secteur d'avenir. Les critères de la conservation de l'expertise stratégique et du levier de développement s'imposent.
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Québecor (QBR.B, 34,92 $). La société est peut-être protégée par les règles sur la propriété étrangère dans les télécommunications, mais ce n'est pas clair à 100 % (particulièrement depuis Globalive). Elle l'est peut-être un peu par les règles sur les journaux. Quoi qu'il en soit, les critères de la conservation des emplois et des fournisseurs s'appliquent, mais aussi celui de la culture.
Banque Nationale (NA, 76,87 $). L'institution ne peut pas être totalement achetée, mais des étrangers pourraient en prendre le contrôle jusqu'à hauteur de 65 %. Avec Desjardins, elle est l'assise financière du Québec. En cas de crise, elle aurait entre ses mains le sort de nombre d'entreprises et la nationalité de sa direction revêtrait une importance première. La protection de l'économie et la sécurité nationale sont ici de puissants motifs.
Power Corp. (POW, 24,22 $). Il se trouve chez Power Corp. une expertise en investissement et en assurances qui permettent au Québec de prendre un élan international. Les critères de protection d'emplois, de l'expertise et de la préservation d'un actif donnant du levier au développement s'appliquent.
CAE (CAE, 10,89 $). La société a développé une bonne expertise dans le secteur de la simulation aérienne. Les critères d'expertise et de levier de développement s'appliquent.
Rona (RON, 10,20 $). Protection des fournisseurs et des emplois indirects. Il faut avouer que peu de nos critères sont atteints. Mais il y a aussi une question de culture d'entreprise dans le cas de cette société. Il s'agissait initialement d'un regroupement coopératif de marchands, et qui dit coop, dit aussi engagement dans le développement du milieu.
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