Que pense Dieu, juge universel de ce qui est juste et équitable, des rémunérations versées aux hauts dirigeants des sociétés publiques?
Depuis des années le milieu financier tergiverse sur le sujet et se cherche une voie.
Certains estiment qu'il faut laisser jouer la loi du marché et que le talent n'a qu'un prix: celui qu'on est prêt à payer. C'est l'école du laissez-faire. Si quelqu'un crée de la valeur pour les actionnaires, il n'y a pas de mal à bien le payer. Et plus il en crée, plus il doit être récompensé.
D'autres, qui ne sont pas nécessairement en rupture idéologique, estiment qu'il est temps de mettre de l'ordre dans le système. Nombre de conseils, disent-ils, sont trop complaisants avec leurs dirigeants. La démesure s'est installée à une époque où plusieurs administrateurs tiraient leurs revenus de leur proximité avec le chef de direction. Elle se maintient aujourd'hui parce que tout l'univers de comparaison en est teinté. Bref, beaucoup d'argent pourrait être retourné aux actionnaires si les investisseurs institutionnels en venaient à s'entendre sur des principes de légitimité et forçaient les conseils à ajuster les salaires.
À l'instar de Warren Buffett, nous sommes de la deuxième école. Bien conscients toutefois que la chose est beaucoup plus facile à dire qu'à faire.
Dieu entre dans le débat
Dieu entre dans le débat
Alors que la discussion piétine, une nouvelle voix vient cependant de s'ajouter, qui pourrait peut-être la faire évoluer.
En Angleterre, l'Église anglicane est à aviser les sociétés dont elle est actionnaire qu'elle votera contre les politiques de rémunération dont les bonis sont de plus de quatre fois le salaire de base.
"L'Église existe pour répandre l'Évangile et l'Évangile prêche la justice pour tous. C'est pourquoi notre comité d'éthique croit que les individus doivent être payés ce qu'ils valent, mais pas plus que cela", disent les représentants de l'organisation.
"Nous sommes préoccupés par l'enjeu de la rémunération excessive et croyons que les forfaits de rémunération de plusieurs hauts dirigeants vont au-delà de ce qui est soit requis, soit équitable", ajoutent-ils.
Plusieurs cas chez nous
Le portefeuille de l'Église anglicane est évalué à 8,7 G $ US. Ce n'est pas énorme en comparaison des 150 G $ de la Caisse de dépôt et c'est géographiquement assez éloigné d'ici.
Cela ne veut pas dire que l'on ne devrait pas se sentir interpellé (pour ne pas dire appelé). En fait, si vous êtes à la tête d'un fonds éthique, vous devriez commencer à réfléchir.
Quelques vérifications au hasard permettent en effet de voir que l'Église anglicane serait au bâton à plusieurs assemblées annuelles si le cœur de ses placements était au Canada.
Le grand patron de Yellow Media, Marc Tellier, a touché en bonus l'an dernier 10,8 fois son salaire de base. Richard Waugh, de la Scotia, a touché 8,8 fois son salaire, Gordon Nixon, de la Royale, 7,88 fois, Edmund Clark, de la TD, 7,6 fois, Claude Mongeau, du CN, également 7,6 fois.
Un peu plus bas, mais toujours au-dessus de la marque, Nadir Mohamed, de Rogers, a fait 6,8 fois son salaire, Louis Vachon, de la Nationale, 6,35 fois, Pierre Duhaime, de SNC, 5,80 fois, et Pierre Beaudoin, de Bombardier, 4,97 fois.
Des nuances
Des nuances
À la décharge des conseils d'administration de ces sociétés, il faut mentionner que la position de l'Église anglicane n'est pas inattaquable.
Son calcul tient compte de tous les octrois d'options et d'actions, mais ne tient pas compte des régimes de retraite. Ainsi, bien qu'elle soit généreuse avec Marc Tellier, Yellow Media ne lui a versé que 32 100$ à titre de rémunération de retraite en 2010. Chez d'autres sociétés, cette rémunération dépasse parfois le million $.
On se souvient aussi d'une année de récession où monsieur Vachon, à la Nationale, n'avait reçu aucun bonus, ce qui, à la prise de photo, aurait assez bien fait paraître le conseil de l'institution.
Il se trouve enfin des sociétés qui versent des salaires de base plus élevés et une rémunération incitative moins élevée. La rémunération incitative n'est pas une mauvaise chose et, jusqu'à un certain niveau, peut être préférable à une trop forte rémunération de base.
On le voit, l'Église anglicane devra vraisemblablement ajouter des paramètres à sa grille d'analyse.
Il n'en reste pas moins que le grain est semé. Souhaitons qu'il fasse comme celui de sénevé…