Il ne s'agit pas de crier au loup ou de se faire agitateur d'épouvantails, mais le gouvernement du Québec devrait dès maintenant mettre fin à ses emprunts sur les bénéfices d'Hydro-Québec. La pratique est en effet fort préoccupante pour les finances publiques de demain.
C'est un jeu comptable auquel on croyait que le gouvernement avait mis fin. Pourtant, en feuilletant le dernier budget provincial, surprise : en 2010, Québec a encore emprunté 554 millions de dollars (M$) sur le bénéfice d'Hydro-Québec.
Bon an, mal an, depuis l'exercice 1997-1998, l'État emprunte sur la portion du bénéfice qui ne lui est pas versée en dividende par Hydro. À une époque, c'était 50 %, c'est aujourd'hui 25 % (parce qu'on demande maintenant plus de dividende à Hydro-Québec).
Pourquoi Québec emprunte
La province a un problème de flux de trésorerie.
Les règles comptables la forcent en effet à reconnaître à ses états financiers 100 % des bénéfices d'Hydro-Québec, et elle dépense ce 100 % de bénéfice. Or, elle ne reçoit en argent comptant que 75 % du bénéfice, par l'intermédiaire du dividende. D'où le nécessaire emprunt équivalent à 25 %.
Officiellement, le ministère des Finances explique qu'il s'agit d'un réinvestissement dans la société d'État. " En permettant à Hydro-Québec de ne pas lui verser la totalité de ses bénéfices en dividendes, l'avoir du gouvernement dans Hydro-Québec augmente d'un montant équivalent. Les besoins financiers d'Hydro-Québec sont réduits alors que ceux du gouvernement sont augmentés ", dit-on.
Pourquoi il faut abandonner la pratique
Pourquoi il faut abandonner la pratique
Tout simplement parce qu'il ne s'agit que d'une vue de l'esprit et que l'opération a des effets assez dommageables sur les finances de la province. La pratique équivaut en fait à payer l'épicerie en ajoutant à son hypothèque.
Pas grave, dira-t-on, puisque la maison prendra de la valeur dans l'avenir et qu'on pourra la vendre.
Humm... il se pourrait bien plutôt que l'on soit en train d'adosser à Hydro-Québec une dette qui sera un jour tout aussi élevée que sa valeur. Bref que si un jour on souhaite vendre Hydro, il ne restera tout simplement plus de réelle équité.
Déjà on creuse
Les Affaires a demandé au gouvernement les résultats des dernières années. En 2007-2008, et jusqu'en 2010, le bénéfice d'Hydro-Québec oscillait autour de 3 G$. À un multiple de 10, cela voulait dire une valeur de 30 G$ pour les actions du gouvernement. Au cours de cette période, le gouvernement a cependant emprunté pour 2,5 G$. Ce qui revient à une équité nette de 27,5 G$ (valeur moins la dette).
En 2010-2011, le bénéfice d'Hydro a chuté à 2,44 G$ et le gouvernement a encore ajouté un emprunt de 554 M$. Valeur nette d'Hydro-Québec : 21,4 G$.
On le voit, la valeur de la société d'État ne grimpe pas nécessairement chaque année. En fait, elle a reculé l'an dernier. Mais la dette qu'on lui impute, elle, a continué de grimper.
Et on risque de recreuser dans l'avenir
Quand même, à plus long terme, avec le Plan Nord, la valeur d'Hydro grimpera, et la valeur nette aussi, dites-vous ?
Soit, voyons à plus long terme. C'est encore plus préoccupant.
Soit voyons à plus long terme. C'est encore plus préoccupant.
Dans 30 ans, l'entente sur la production du complexe Churchill viendra à échéance. Du coup, Hydro perdra les 5 000 mégawatts d'électricité qu'elle achète de Terre-Neuve et qui lui coûtent actuellement de 0,25 à 0,30 cent le kilowattheure (kWh).
Grosso modo, l'entente génère de 30 à 60 % du bénéfice d'Hydro-Québec, dépendamment du repère que l'on adopte (revente au tarif patrimonial de 2,79 cents/kWh ou revente au tarif à l'exportation de 6 à 8 cents/kWh).
On préfère le 60 %, parce que la quantité d'électricité actuellement achetée de Terre-Neuve n'est pas loin de ce qu'on exporte, et que c'est cette quantité qu'il nous faudrait couper (60% du bénéfice).
La situation est pour le moins préoccupante. On ne perdra pas 60% du bénéfice dans 30 ans. Il faudrait faire rouler des chiffriers et actualiser toutes les données en intégrant les développements projetés du Plan Nord pour avoir un portrait plus juste. Mais on perdra beaucoup.
Il faudra augmenter les tarifs d'électricité significativement pour qu'Hydro conserve sa valeur. En raison des débats sociaux qui ne manqueront pas de faire rage - on a longtemps encouragé les Québécois à se chauffer à l'électricité -, ce n'est pas chose faite. Pour éviter les ennuis, il faudra de beaucoup majorer les tarifs. En plus de l'inflation.
Il s'en trouvera pour dire qu'on pourra larguer les alumineries, leurs contrats avantageux venant aussi à échéance à ce moment. Hé, hé, si vous voulez une crise sociale et un taux de chômage explosif chez les gros salariés québécois, c'est la recette parfaite.
Que retenir ?
Quel que soit le niveau d'équité qui restera dans Hydro d'ici 30 ans, des années d'emprunts cumulés auront pour effet de l'avoir à tout le moins déjà en partie vendue. On privera donc la génération suivante d'une importante équité. On lui aura en plus poussé de lourdes charges sur la dette.
Québec devrait cesser immédiatement d'emprunter sur le bénéfice. C'est ce que ferait un bon gestionnaire. Et oui, cela veut aussi dire qu'il ne faut plus viser le déficit zéro, mais un surplus d'au moins 554 M$ pour que les finances publiques s'équilibrent. La décision est lourde de conséquence, mais c'est une question d'équité générationnelle.
francois.pouliot@transcontinental.ca