BLOGUE. Warren Buffett achète Heinz. Si l'affaire est ketchup pour lui, pourrait-elle aussi l'être pour nous ?
L'annonce de la transaction, il y a quelque temps, ne nous a guère surpris.
Le plus grand casse-tête de l'oracle d'Omaha est d'investir tout l'argent que lui envoient chaque année les différentes filiales de Berkshire Hathaway. Plus un portefeuille de placement est important, plus grosses doivent être les cibles pour faire bouger l'aiguille. Une petite capitalisation qui double sur trois ans n'a aucun impact sur le rendement. Il est nettement mieux de viser une très grosse capitalisation, même si celle-ci ne rapporte que 10 % par année.
À 23 G$ US de capitalisation (28 G$ US de valeur en incluant la dette), Heinz a la taille nécessaire. Elle affiche aussi le profil des sociétés que recherche l'oracle. Un avantage comparatif difficilement attaquable (sa marque de commerce) et une position dominante qui a peu de risques de s'effriter, aussi loin que l'on regarde dans le temps.
Pas surpris de l'acquisition, mais les détails de celle-ci nous ont cependant grandement étonné.
SUIVRE SUR TWITTER: F_POULIOT
Berkshire et sa partenaire, la société 3G, du milliardaire Jorge Paulo Lemann, sortent chacune 4 G$ US pour une participation en actions ordinaires. Berkshire ajoute cependant 8 G$ US et reçoit en contrepartie des actions privilégiées qui procureront chaque année un rendement de 9 %.
Un rendement de 9 %, wow, c'est quelque chose ! À titre de comparaison, la Financière Power émettait il y a quelques jours des actions privilégiées perpétuelles à 4,8 % d'intérêt.
Un vol de Buffett ?
Pas tout à fait.
La transaction est en réalité une acquisition par endettement (leverage buyout). Si Berkshire utilise son encaisse pour acquérir sa participation, on notera que la partenaire 3G met nettement moins d'argent (4 G$ US par rapport à 12 G$ US) dans la transaction. Ce qui veut dire que le reste de l'acquisition est financé par dette, imputée à l'entreprise.
C'est en bonne partie pour cela que M. Buffett obtient un rendement de 9 %. Au terme de la transaction, Heinz sera une société nettement plus endettée. Qui dit dette plus élevée dit risque plus élevé et, conséquemment, rendement plus élevé.
Ici se présente l'intérêt pour le petit investisseur. Une partie de la dette déjà contractée par Heinz bénéficie d'une protection qui prévoit son rachat lors d'un changement de contrôle. Une partie n'en bénéficie cependant pas, et les rendements offerts sur celle-ci se sont dernièrement envolés.
Dans les jours précédant l'annonce, la débenture (obligation non garantie) à échéance en 2028 se négociait entre 4,6 % et 4,9 %. Elle offre aujourd'hui un rendement de 5,85 %. Mieux, le rendement de la débenture échéant en 2032 est aujourd'hui de 6,2 %.
Faut-il acheter les débentures de Heinz ?
Faut-il acheter les débentures de Heinz?
Voilà la grande question.
À n'en pas douter, le rendement est attrayant. À titre d'illustration, le rendement moyen des obligations 10 ans du gouvernement américain depuis 1900 a été de 4,9 %. Si on raccourcit la période et que l'on part de 1960, c'est davantage autour de 6,7 %. Il y a cependant dans le dernier calcul la fameuse poussée inflationniste des années 1980, laquelle est venue doper les rétributions et ne devrait pas se représenter de sitôt.
Reste le risque du temps.
Heinz sera-t-elle en mesure d'honorer sa dette dans 20 ans ?
Il est vrai que le poids de sa dette est en voie de devenir assez lourd. Les agences de notation calculent préliminairement qu'elle pourrait atteindre 5 et même 6 fois le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA). C'est généralement un niveau où les banques ne dorment pas très bien et qui finit par avoir raison de plusieurs entreprises.
Cela dit, la marque Heinz est l'une des plus puissantes dans les pays développés, et la probabilité semble bonne que plusieurs de ses produits se taillent une place enviable dans les pays en émergence. Contrairement à d'autres grandes marques comme Coke ou Pepsi, elle n'en est qu'à ses premiers pas sur ces marchés.
Surtout, il serait étonnant que Buffett mette une pareille somme sur la table et s'attende à la voir fondre. La règle numéro un de son bréviaire sur l'investissement est : ne jamais perdre d'argent. La règle numéro deux : ne jamais oublier la première règle.
Pour l'investisseur canadien, il y a aussi bien entendu un risque de change. Personne ne peut réellement savoir où se situera le dollar canadien par rapport au dollar américain dans 20 ans. Ce risque joue toutefois des deux côtés : il peut y avoir perte ou gain de change. La perte peut toujours être minimisée si notre mode de vie permet d'effectuer des achats aux États-Unis.
Au final, tout dépend de la foi que l'on porte à Warren Buffett et à son jugement. La nôtre est grande.
SUIVRE SUR TWITTER: F_POULIOT