BLOGUE. Le moins que l'on puisse dire, c'est que monsieur Péladeau a le don de surprendre. On a relu deux fois le titre du Devoir: "Québecor dénonce la campagne de peur des trois grands".
Oui, oui, vous avez bien lu.
Dans une lettre ouverte à quelques quotidiens, Pierre Karl Péladeau dénonce la "campagne de désinformation" que mènent actuellement Bell, Rogers et Telus, contre l'entrée de Verizon au Canada.
Il y voit une "nouvelle entreprise d'intoxication", alors que, six ans après avoir manœuvré contre l'entrée de nouveaux concurrents dans le sans-fil (dont faisait partie Québecor), les trois grands agitent "un nouvel épouvantail à moineaux".
Il félicite le gouvernement "d'avoir eu le courage d'assumer ses responsabilités de gardien suprême du bien public, alors que les opérateurs historiques ne semblent vouloir être redevables qu'à leurs actionnaires".
Cela a porté fruit dans le passé,dit-il, avec des prix qui ont chuté de 18%.
Pierre Karl Péladeau demande cependant que l'on réserve un bloc de spectre pour les nouveaux entrants comme Vidéotron, lors du prochain encan.
Que penser de la sortie?
Plusieurs choses.
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Disons avant tout que l'on aime bien quand monsieur Péladeau prend la plume. Il a du souffle (et du soufre!). Avec Conrad Black, il est notre lecture préférée.
Là où il a raison
Le gouvernement du Canada souhaite apparemment réserver deux blocs de spectre pour Verizon sur les quatre à l'enchère.
Le vice-président de Québecor n'aborde pas de front la question. Il n'est pas clair s'il est d'accord pour une réservation de deux blocs, mais il est assurément d'accord pour qu'on en réserve un puisqu'il rappelle que les grands du sans-fil détiennent 85% du spectre mis à la disposition des opérateurs de sans-fil.
L'argument du spectre donné à rabais au géant Verizon est un des arguments de Bell, Rogers et Telus qui est effectivement agaçant. Ceux qui suivent de près le dossier savent bien que le trio veut s'approprier le plus de fréquences possible pour justement bloquer l'entrée d'un joueur qui fasse la différence au pays. Les trois grands souhaitent en fait pouvoir acheter les fréquences pour l'empêcher de bâtir son réseau, soit par manque de fréquence, soit en poussant les enchères à un si haut prix que le plan d'affaires de la société américaine n'aurait pas de sens.
Dans le contexte, Ottawa a raison de vouloir lui réserver du spectre. Déjà que l'on n'est personnellement pas très sûr qu'avec les avantages accordés, Verizon puisse vraiment faire de l'argent. On y revient un peu plus bas.
Pendant ce temps, monsieur Péladeau demande à ce qu'on réserve un bloc de spectre à Vidéotron et aux autres nouveaux entrants comme EastLink et SaskTel. Certains y verront une contradiction, mais c'est tout à fait justifié. Ottawa ne peut quand même pas punir ceux qui, il y a quelques années, avaient répondu à son invitation de venir jeter plus de concurrence dans le sans-fil. Ce serait saugrenu.
D'accord avec monsieur Péladeau jusqu'à maintenant, donc. La seule chose qui nous intrigue est sur le nombre de blocs à réserver à Verizon. Quelque chose nous dit qu'il préférerait qu'un seul bloc lui soit réservé, ce qui la forcerait à dépenser plus et affaiblirait son plan d'affaires.
Là où la sortie devient surprenante
Là où la sortie devient surprenante
Si sur l'attaque de l'oligopole, l'actionnaire de contrôle de Québecor a raison, il est fort étonnant de le voir se dire d'accord avec l'arrivée de plus de concurrence au pays.
On l'a déjà dit, il n'est pas clair que Verizon fasse un si bon coup financier en s'amenant au Canada. Elle devra concurrencer avec quatre joueurs (en incluant Vidéotron) qui offrent des bouquets de services (téléphone traditionnel, télé, Internet et sans-fil). Parce que le sans-fil est l'avenir, personne ne devrait normalement vouloir perdre de parts de marché. À chaque descente de prix, les opérateurs actuels devraient donc tenter de suivre, et le consommateur être porté à demeurer là où sont ses autres comptes. Il faudra donc que Verizon casse les prix très fortement si elle espère se tailler une place.
À moins que l'on ait échappé quelque chose quelque part, Verizon a en mire le Québec.
Il est vrai que le sans-fil ne compte pour l'instant que pour 7,8% des revenus de Vidéotron. Mais c'est de toute la croissance future de l'entreprise dont il est ici question.
Peut-être la concurrence s'affaiblirait-elle dans les autres services et les prix y remonteraient-ils. Telus, notamment, devrait probablement freiner ses investissements en télé. Mais c'est fort hasardeux.
Il faut vraiment que monsieur Péladeau soit confiant dans la capacité de Vidéotron à prendre des parts de marché au Québec pour souhaiter la venue de Verizon.
Là où on passe de la surprise au désaccord
En accord et surpris jusqu'à maintenant, nous voici arrivé au désaccord.
L'ancien patron de Québecor cite une étude de Wall Communication pour le CRTC où il est mentionné que le Canada affiche la quatrième facture la plus élevée des pays de l'OCDE. La seule façon de corriger la situation est à ses yeux de prendre les moyens pour favoriser l'arrivée de la concurrence.
Il y a quelques jours, on était tombé sur la même étude, mais notre attention avait surtout porté sur le forfait des téléphones intelligents (1200 minutes d'appel, dont 15% en interurbains, 300 messages textes et 1Go), puisque c'est là où s'en va l'industrie. Les chiffres sont les suivants:
1-Australie: 50$ par mois
2-France: 59$
3-Royaume-Uni: 64$
4-Canada: 94$
5-Japon: 125$
6-États-Unis: 146$
L'écart de prix entre l'Australie et le Canada, de même que celui entre le Canada et les États-Unis, ont de quoi faire douter de la méthodologie.
Plus encore cependant, l'étude vient détruire l'argument des tarifs plus faibles aux États-Unis.
Il serait étonnant qu'après s'être établie dans le marché canadien, Verizon ne soit pas tentée de revenir à ses marges bénéficiaires américaines en remontant les prix.
Dans l'intérim, l'industrie canadienne aurait cependant perdu un certain nombre d'emplois de qualité, et fait face à des baisses de rémunération (les centres d'appels de Verizon demeureraient là où ils sont, la facturation probablement aussi, etc.).
Il n'est pas sûr que 10 ans plus tard, le bien public, comme dit monsieur Péladeau, s'en porterait mieux. Le consommateur n'aurait pas nécessairement plus d'avantages, et tous les autres, employés et actionnaires, seraient vraisemblablement plus pauvres.
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