BLOGUE. Le plus gros épicier et le pharmacien numéro un au pays joignent leurs forces avec la plus importante transaction de l'histoire du commerce de détail au Canada. La fusion de Loblaw et Shoppers doit-elle faire trembler Jean-Coutu, Metro et Couche-Tard?
D'abord un mot sur le pourquoi de cette méga-transaction.
La concurrence est vive dans le secteur de l'alimentation et s'accentue depuis quelques années. Costco offre de l'épicerie; Walmart est en train d'augmenter son offre avec le déploiement de produits frais; Target, qui arrive sur les talons de Zellers, veut aussi continuer de tabler sur l'alimentaire, en profitant d'un achalandage qui devrait être nettement supérieur à celui de son prédécesseur.
L'offre alimentaire augmente, mais le nombre de consommateurs, lui, demeure relativement stable.
Une recette parfaite pour faire casser les prix. La menace d'un recul des prix a en fait rarement été aussi forte au pays.
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Comment faire pour maintenir sa rentabilité lorsque les prix tombent?
Aller voir ses fournisseurs pour leur demander de nous en faire de meilleurs. En promettant plus de volumes. Leurs marges seront plus faibles, mais ils vendront plus de produits et feront autant, sinon plus d'argent.
En acquérant Shoppers (Pharmaprix), Loblaw vient augmenter son pouvoir d'achat pour nombre de produits qui sont offerts en avant du comptoir d'ordonnances du pharmacien. Vu inversement, la transaction a aussi pour effet d'augmenter le pouvoir d'achat de Pharmaprix.
À l'avantage du pouvoir d'achat augmenté, s'ajoute celui de la possibilité de ventes croisées, qui sont susceptibles de faire augmenter les ventes.
Et, évidemment, la possibilité d'économies dans les systèmes de distribution et le personnel de gestion (mise en commun d'entrepôts, attrition de duplications, etc.).
Un bon coup, mais...
Quel sera l'impact de tout ceci pour la nouvelle entité Loblaw-Shoppers?
Les directions des sociétés estiment qu'environ 300 M$ de synergies pourraient être réalisées sur trois ans. Il s'agit pour l'essentiel d'économies de coûts. Un éventuel accroissement d'achalandage attribuable à de meilleurs prix n'est pas dans le compte.
Pour donner un peu de perspective, c'est environ 20-25% du bénéfice net consolidé 2012 des deux entités ou près de 10% du BAIIA (bénéfice avant intérêt, impôt et amortissement).
Pas vraiment une forte croissance du bénéfice, puisque le tout est sur trois ans, qu'il y a 4,6 G$ de nouvelle dette (des charges d'intérêt s'ajouteront), de même qu'une dilution au capital-action. Mais quand même un coussin pour à tout le moins préserver la rentabilité actuelle si la concurrence s'accélère grandement dans les prochaines années.
Au plan financier, l'avenir nous dira si c'est un bon coup. Au plan défensif, c'en est un.
Qu'est-ce à dire pour les autres acteurs du secteur?
Voyons-y de plus près.
Coup difficile pour Metro
Coup difficile pour Metro
Ça doit devenir de plus en plus frustrant pour la direction de Metro. Il y a quelques semaines, c'est une autre concurrente, Sobeys, qui améliorait son pouvoir d'achat en achetant Safeway Canada, dans l'Ouest.
Non seulement Sobeys améliorait-elle son pouvoir d'achat, mais elle venait aussi diminuer celui de Metro. Safeway est en effet membre de United Grocers, un important regroupement d'achats auquel participe Metro. Il est désormais assuré que Safeway sortira bientôt du regroupement et que celui-ci perdra du pouvoir de négociation.
Réaction possible?
Jean Coutu serait à l'évidence une cible intéressante. Elle permettrait d'obtenir au Québec une force de frappe apparentée à ce que vient d'obtenir Loblaw. Malheureusement, Jean Coutu ne semble pas du tout intéressée à vendre.
Reste Overwaitea, le dernier gros épicier indépendant du Canada, avec 130 établissements. C'est un prix de consolation, en ce qu'Overwaitea est aussi dans le groupement d'achat United Grocers et qu'une acquisition n'aurait probablement pas tant d'effets synergiques. La transaction permettrait cependant à Metro de prendre racine dans l'Ouest, de devenir un joueur national, et d'implanter ses techniques de mise en marché. Des techniques qui ont fort bien fait ces dernières années et qui pourraient remonter la rentabilité des établissements de l'Ouest.
Jean Coutu: probablement moins pire
En théorie, c'est aussi un coup dur pour Jean Coutu. Pharmaprix aura accès à de nouveaux produits (beaucoup de marques privées) et à d'autres produits courants qu'elle paiera moins cher.
En pratique, c'est moins clair. Jean Coutu et cie misent surtout sur leur comptoir de prescription pour amener de la clientèle dans leurs établissements. Les prix et les spéciaux sont une chose, mais une bonne partie du volume d'affaires vient du fait que le consommateur achète accessoirement des produits en allant renouveler ses prescriptions.
Or, la transaction ne changera pas la donne. Avant comme après, Jean Coutu demeure avec une part de marché qui n'est pas très loin de 50% des médicaments prescrits au Québec.
La transaction n'attaque pas non plus ce qui semble être le plan de match de la famille Coutu. Celle-ci veut certes protéger ses activités traditionnelles, comme en fait foi l'introduction prochaine de 150 produits de marques privées. Mais elle apparaît voir sa croissance à un autre niveau.
Ces dernières années, elle a surtout utilisé son réseau pour donner du levier à des initiatives manufacturières. ProDoc, dans le médicament générique, a lancé le bal. Medicus, un fabricant d'appareils orthopédiques, dans lequel elle a une participation de 50%, a suivi. Il pourrait bien y avoir d'autres leviers du genre sous examen.
Le titre a cependant bondi de près de 5% en journée. Le marché semble croire que Coutu pourrait se mettre en vente. Il est loin d'être sûr que le bond tienne.
Couche-Tard: le point d'interrogation
La chaîne de dépanneurs a moins fait parler, mais on peut se demander si elle ne sera pas affectée.
Avec un pouvoir d'achat accru, Shoppers a désormais plus de moyens d'agir sur les prix. Bien qu'en croissance, le nombre d'établissements Pharmaprix et leur positionnement ne sont pas nécessairement une très grande menace au Québec. Mais dans le reste du pays, Shoppers a un redoutable parc immobilier.
Si l'offre de produits évolue de manière à dupliquer en partie celle des dépanneurs (Couche-Tard développe notamment le prêt-à-manger), il pourrait y avoir quelques dommages collatéraux.
Cela dit, les dommages seraient somme toute restreints. Couche-Tard est davantage aujourd'hui une société américaine, dont la majorité des revenus proviennent des États-Unis, et qui prend de l'expansion en Europe.
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