BLOGUE. C'est toute une charge que vient de livrer Yves Michaud, le Robin des banques, à l'endroit de Desjardins.
Dans un entretien au quotidien Le Soleil, monsieur Michaud reproche au mouvement coopératif de se comporter de plus en plus comme une banque et propose de mettre sur pied un Mouvement de surveillance des caisses Desjardins. « Assez, c'est assez. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez Desjardins. Il faut que cela cesse », lance-t-il notamment.
Que reproche monsieur Michaud à Desjardins?
Il parle notamment du salaire de Monique Leroux, la présidente, qui est passé de 1,6 M$ en 2008 (régime de retraite compris) à 3,1 M$ en 2012.
Il déplore également la baisse importante des ristournes distribuées aux membres des caisses populaires ces dernières années. Malgré une hausse importante de 45% des excédents nets (profits) depuis 2007, les ristournes ont chuté de près de la moitié durant la période.
Avant d'aller au plus intéressant de la charge Michaud, un mot sur ces deux reproches.
Le salaire de Monique Leroux est établi en fonction de la rémunération accordée dans les grandes coopératives mondiales et en fonction de celle accordée dans le secteur bancaire canadien. La politique est de lui accorder 75% de la médiane du marché financier canadien. C'est dire qu'on la place au troisième quartile. L'an dernier (2011), la rémunération de madame Leroux était en fait plus faible que ce que permet la politique, alors qu'elle se situait à 63% de la médiane.
Il est vrai que la rémunération est élevée, comme le sont toutes celles du secteur bancaire, mais il est difficile d'aller beaucoup plus bas. Il s'agit aussi d'une question de rétention du meilleur talent et d'équité envers ce qui se paie ailleurs.
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Pour ce qui est de la baisse des ristournes, il ne faut pas y voir une nouvelle orientation de Desjardins. À la suite de la crise financière, les autorités réglementaires mondiales ont établi de nouveaux ratios de capitalisation. Le mouvement a décidé de les atteindre, notamment en retournant moins de ristournes pour quelques années aux membres. C'est tout à fait normal, et il n'y a guère de critiques à formuler de ce côté.
Le point majeur de monsieur Michaud
Le point majeur de monsieur Michaud
Passons maintenant au point le plus intéressant de la charge de monsieur Michaud. Celui où il reproche à Desjardins de se comporter philosophiquement de plus en plus comme les banques.
Il n'est pas seul à penser ainsi. Encore récemment, lors d'un souper avec des amis, Desjardins était la cible de quelques attaques, la plupart lui reprochant de faillir à sa mission.
Certains racontaient notamment qu'il avait été plus facile pour eux de se financer avec telle banque, expliquant que les caisses n'étaient pas disposées à courir de plus grand risques que les autres et à prêter à de meilleurs taux. N'est-ce pas ce qui était l'essence même de la philosophie initiale d'Alphonse Desjardins?
D'autres, un peu comme monsieur Michaud, mettaient en exergue les fermetures d'établissements et le retrait de certaines communautés.
La nouvelle philosophie coopérative
Il y a du vrai dans ces arguments. Il faut cependant faire attention de comparer le souvenir du Desjardins d'hier avec la mission du Desjardins d'aujourd'hui.
Le souvenir collectif du Desjardins d'hier est ancré dans une époque où le capital de risque était pratiquement absent et où Desjardins intervenait sans concurrence.
La concurrence dans l'industrie d'aujourd'hui est féroce, et l'abondance des capitaux fait que tous bataillent pour la même clientèle.
Dans ce contexte, avoir des coûts supérieurs à ceux des autres met à risque son volume d'affaires et conséquemment le rayonnement de sa philosophie. Si les banques dégagent une meilleure rentabilité en raison de coûts plus faibles, vous pouvez parier que les parts de marché du mouvement reculeront bientôt et que tout pâlira.
Oui, mais, en n'osant pas plus que les banques et en offrant les mêmes conditions, Desjardins est en train de déroger à sa philosophie et de sacrifier son âme, direz-vous.
On peut le voir ainsi. Mais on peut aussi décider de voir que le modèle coopératif s'exprime davantage aujourd'hui sur une base de soutien au milieu.
Près de 80 M$ ont été l'an dernier injectés en dons et commandites. Pendant ce temps, malgré ce qu'on en dit, Desjardins continue aussi de prendre plus de risques que bien des banques.
Dans la région des Etchemins, patelin de l'auteur, elle a par exemple l'an dernier fait beaucoup pour la relance du centre de ski le Mont-Orignal. Le démantèlement de la station aurait été fort déstructurant pour le milieu.
Ces engagements sont cependant souvent oubliés par tous et chacun lorsqu'ils négocient une hypothèque ou un prêt commercial.
Dit autrement, le modèle coopératif de Desjardins ne doit plus aujourd'hui être évalué à l'aune de l'engagement individuel, mais à l'aune de l'engagement pour la collectivité. Et cette évaluation doit tenir compte des contraintes concurrentielles avec lesquelles il doit obligatoirement composer s'il veut consolider cet engagement.
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