BLOGUE. À quoi faut-il s'attendre lorsque les dirigeants d'une entreprise se présentent devant leurs actionnaires avec un titre en recul de près de 30% sur l'année précédente?
À rien. Preuve en a encore été donnée, mardi, lors de l'assemblée annuelle de Cogeco et Cogeco Câble.
On aurait pu s'attendre à ce que les actionnaires posent nombre de questions sur les deux dernières acquisitions de Cogeco Câble à l'étranger, Atlantic Broadband et Peer 1. Deux acquisitions fort mal reçues par le marché, qui redoute qu'à cause d'elles, les agences de notation n'envoient sous peu les débentures au rang de junk bonds.
Pourtant, aucune question n'est venue sur le sujet.
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Cela ne veut pas dire que le grand patron, Louis Audet, ne sentait rien.
« Nous n'avons pas d'autres acquisitions dans les plans et allons nous concentrer sur l'intégration de nos dernières acquisitions. L'objectif est de ramener le ratio dette/BAIIA de 3,7 à sous les 3,5 d'ici le mois d'août », a-t-il notamment dit dans son exposé.
C'était répondre à la principale crainte des analystes. Nombre d'entre eux redoutaient en effet que la société ne décide prochainement d'encore ajouter de la dette à son bilan en poursuivant sur le sentier des acquisitions. Après tout, n'avait-elle pas dit, à l'été, qu'elle entendait utiliser le câblodistributeur américain Atlantic Broadband comme base de lancement pour une expansion aux États-Unis?
Malgré la déclaration de Louis Audet, le titre n'a pas bronché en journée. Le marché continue d'avoir peur.
Le marché a-t-il trop peur?
On serait personnellement porté à dire oui. Et à soutenir que Louis Audet prend les bonnes décisions.
Tous ont à l'esprit l'échec de Cabovisao, au Portugal, un câblodistributeur acheté 660 M$ en 2006, et revendu pour seulement 60 M$ en février 2012. Des erreurs du genre avec Atlantic et Peer 1, et Cogeco Câble ne vaut plus grand-chose.
À cause de Cabovisao, il ne serait d'ailleurs effectivement pas étonnant de voir les agences de notation ramener le statut des débentures de la société au rang de pacotille prochainement.
Cela ne veut pas dire qu'avec le temps les agences n'auront pas à revoir à la hausse leur recommandation, et que les investisseurs qui auront fait le pari des très faibles multiples de Cogeco (9,5 fois le bénéfice) ne seront pas récompensés.
Pas comme au Portugal
Pas comme au Portugal
Au Portugal, Louis Audet avait eu une bonne idée. Malgré les doutes initiaux, l'aventure avait dans ses premières années été créatrice de valeur. C'est une décision du gouvernement local de privatiser le réseau de câble Portugal Telecom (en créant la société Zon) qui fit tout déraper. Zon et Portugal Telecom se mirent chacune à jouer dans le marché de l'autre, les prix tombèrent, et on connaît la suite.
Cette fois, il ne semble y avoir qu'un risque d'exécution. Auquel semble en outre rattaché un bon potentiel.
Le réseau d'Atlantic, quatorzième câblo aux États-Unis, est à un bon niveau technologique, mais avec un taux d'adhésion à plusieurs services sous la moyenne américaine. Moins de 20% des abonnés utilisent la télé numérique, alors que la moyenne nationale est à 36%; 30% sont sur l'Internet haute-vitesse alors que la moyenne est à 38%; 14% sont abonnés au téléphone, alors que la moyenne est à 19%. Une situation attribuable au fait qu'Atlantic est passée sur le tard à la technologie numérique. Avec le temps, les moyennes devraient être rattrapées, et une valeur intéressante être créée.
L'acquisition de Peer 1 est plus controversée. Elle survient à un multiple élevé de 12,7 fois le BAIIA, comparativement à Cogeco qui est à 5,7 fois. Le réflexe de plusieurs est d'accoler le BAIIA de Peer 1 au multiple de Cogeco, ce qui a un effet immédiat de destruction de valeur.
Un tel multiple (12,7) signale cependant une forte croissance attendue du bénéfice pour l'avenir. D'ici quelques années, il se pourrait bien que l'entreprise de centres de données offre un rendement fort intéressant. Il faut parfois savoir reculer et prendre un peu d'élan pour sauter plus loin.
Le pari des centres de données est aussi celui sur lequel semble tabler Cogeco au Canada. Elle a ouvert un centre d'hébergement à Toronto en 2012, en ouvrira un prochainement à Barrie (Ontario) et veut en ouvrir un ultra-moderne à Montréal en 2014.
Peer 1 est donc une expansion du secteur du côté américain de la frontière.
Alors que la plupart des câblodistributeurs misent sur la téléphonie sans fil, Louis Audet mise plutôt sur le centre de données. Il confie ouvertement ne voir aucun rendement intéressant dans le sans fil.
La stratégie se défend. Et une intuition nous fait croire qu'elle donnera du fruit.
Notre seule divergence de vue avec monsieur Audet est à long terme. Le sans fil n'est peut-être pas payant pour l'heure, mais il aurait peut-être mieux valu quand même y investir il y a quelques années. Il risque en effet de venir un jour où elle sortira le câble d'affaires, ou mettra à tout le moins une très forte pression sur ses marges. Les réseaux sans fil pourront attaquer les marchés des réseaux de câble, mais les réseaux de câble ne pourront pas rejoindre d'autres marchés que le leur.
Mais ça, c'est pour beaucoup plus loin dans le temps. D'ici là, le titre de Cogeco devrait s'être significativement redressé.
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