Blogue. Vous croyez ou ne croyez pas en l'avenir de La Presse +?
Le succès de la nouvelle application tablette ne fait aucun doute dans l'esprit de l'éditeur Guy Crevier, avec qui on a pu discuter, jeudi.
Notre entretien, accompagné de commentaires, et notre sentiment en fin de chronique.
D'où proviendra la rentabilité du projet
D'abord, l'état financier des lieux. La Presse papier est actuellement rentable, mais « n'affiche pas une très forte rentabilité », selon Guy Crevier. L'éditeur dit ne pouvoir en dire plus.
Le plan de match maintenant.
Il y a pour 90M$ de coûts d'impression, de papier et de distribution associés au journal. Le moins on imprimera et distribuera de copies papier, le plus on récupérera dans ce 90 M$. Du moins jusqu'à un certain point.
En postulant l'abandon de l'édition papier, et en supposant un transfert de revenus à peu près équivalents au papier vers La Presse+, on peut voir l'ampleur du potentiel financier brut (90 M$ de gain). Le tout est à mettre en perspective avec un investissement en développement de 40 M$ dans les dernières années, auquel s'ajoutera pour encore quelque temps des pertes de lancement et de développement. Il y a au départ un fort signal théorique d'investissement.
Creusons un peu.
Les revenus de La Presse+ seront-ils équivalents à ceux de La Presse journal? Les revenus publicitaires (la grande partie des revenus des journaux) le seront et ce d'ici deux ans, a dit Guy Crevier.
Compréhension: dans deux ans, donc, l'application devrait être rentable. Il ne l'a pas dit expressément, mais on peut le présumer.
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La présomption vient de ceci. Le plan de match de Guy Crevier est d'avoir 200 000 usagers par semaine en septembre et 400 000 au mois de décembre. Ce 400 000 utilisateurs est la pierre angulaire du projet. À ce moment, l'éditeur juge qu'il aura suffisamment de portée pour pouvoir commencer à cogner aux portes des agences publicitaires et vendre La Presse+ comme un média de masse. « Après 400 000, on ne devrait plus être tellement loin de la rentabilité, a-t-il dit. Il n'y a pas de coûts de papier, pas de coûts de distribution…Et je ne fais pas référence à ce qui arrivera avec le journal. ».
Si on n'est pas loin de la rentabilité dans huit mois, on devrait y être dans deux ans…
La pénétration du marché ne semble pas trop préoccuper monsieur Crevier. L'écosystème de La Presse (papier, web et mobile) compte 1,7 million d'utilisateurs (dont 800 000 utilisateurs papier). Du nombre, 600 000 ont déjà des tablettes. À d'autres médias, il a aussi précisé que 500 000 projetaient en avoir une dans les prochains 12 mois.
Ok, mais pour que la rentabilité soit atteinte, il faut que la publicité rentre, direz-vous. Comment cette publicité rentrera-t-elle?
Ici aussi le grand patron de Gesca est habité de convictions. Il parle notamment d'un million de dollars injectés en études et focus groupes avec les HEC qui ont permis de développer 26 types d'interactivités publicitaires.
Certains ont jugé que le prix publicitaire demandé était trop élevé. Guy Crevier voit, lui, plus de flexibilité pour l'annonceur.
Lorsque sera atteint le cap des 400 000 utilisateurs (décembre), un plein écran de la section A ou de la section Affaires sera offert au même prix qu'une pleine page de la Presse papier. Le tarif publicitaire de la section Sports sera par contre apparié à celui des réseaux de télé spécialisés qui rejoignent une clientèle homme. Et les tarifs des sections plus « soft » (son mot), comme Voyage et Mon Toit, seront alignés sur ceux des magazines.
Constat: encore ici monsieur Crevier ne l'a pas dit, mais la publicité semble effectivement vendue à prime par rapport au journal. Du moins pour les sections A et Affaires, où le papier roule à 800 000 utilisateurs alors que le iPad est à 400 000 (les deux sont au même tarif).
La conséquence? Il y a effectivement un risque que la migration publicitaire ne se fasse pas au tarif prévu, mais on y revient en conclusion.
Le poids des revenus Internet traditionnels
Le poids des revenus Internet traditionnels
Le succès du projet iPad dépendra en majeure partie de la réponse des annonceurs aux publicités interactives, mais il dépendra aussi, en partie du moins, de la cannibalisation potentielle des publicités internet traditionnelles sur Cyberpresse.ca.
L'éditeur ne croit pas en une cannibalisation et estime que l'on cible des publics dans des moments d'activité différents et avec des comportements différents. L'utilisateur de Cyberpresse n'y va que pour quelques minutes et une publicité de bandeaux et de big box est la plus adéquate. Celui du iPad, passe beaucoup plus de temps et est dans une utilisation davantage prolongée, qui permet une publicité totalement différente et à prime.
À son avis, les revenus devraient demeurer stables chez Cyberpresse.
À quand la fin de La Presse papier?
On parlait en début de texte d'un « potentiel brut » de 90 M$ en diminution de coûts de papier, d'impression et de distribution, avec la disparition éventuelle de La Presse papier.
L'horizon de matérialisation du montant est incertain. Et, bien que l'on entende le glas sonner, il n'est pas ressorti clairement de l'entretien non plus que le papier disparaîtrait assurément.
Guy Crevier soutient que c'est le consommateur qui décidera de l'avenir du papier. « Si après un an, on a 125 000 abonnés, nous sommes encore dans un modèle qui est viable pour le journal. Les coûts de contenus sont faibles, on peut réduire les routes moins rentables. Si on en a 25 000 abonnés après un an et demi, deux ans, là, une décision devra être prise. »
Il y a quand même actuellement une explosion des coûts
Il y a quand même actuellement une explosion des coûts
Bien que des économies de coûts soient envisagées, c'est pour l'instant à une explosion de coûts que semble faire face La Presse. Monsieur Crevier reconnaît qu'une centaine de personnes supplémentaires ont été engagées en laboratoire et seront maintenues en place pour continuer à développer le produit. Une cinquantaine d'autres se sont ajoutées pour permettre une transition dans la mise en vue (mise en page iPad), et une optimisation des ressources.
L'effectif de La Presse par rapport à 2009 n'a cependant pas bougé, dit-il. « On a rationnalisé le réseau de distribution. En 2009, il y avait 235 employés, ils sont aujourd'hui 50. Ça faisait partie du plan ».
Commentaire. Il y a du brouillard sur la hauteur de ces coûts et où les placer pour déterminer la plus-value qui sera créée. Mais c'est secondaire puisque, de toute façon, ils semblent déjà intégrés dans les projections de rentabilité discutées plus haut.
Et les journaux régionaux, faut-il les intégrer dans l'équation?
Le Soleil, le Droit, Le Quotidien et les autres quotidiens régionaux devraient aussi passer en mode tablette un peu plus tard. Gesca veut d'abord asseoir le modèle iPad. L'horizon de deux ans est avancé. Mais il est trop tôt pour parler de leur modèle d'affaires.
Un levier supplémentaire
C'est entre parenthèses avant de conclure, mais il y a aussi un rendement technologique potentiel dans l'histoire.
En travaillant à la confection de l'application, La Presse a dû développer quelques logiciels pour lui permettre de travailler efficacement. L'un permet notamment de faire une mise en vue (mise en page) à plusieurs en même temps.
Le plan d'affaires ne repose pas là-dessus, mais Guy Crevier n'a pas caché que, si le projet fonctionne, ces logiciels pourraient être revendus sous une forme ou une autre à de grands groupes de presse. Des investissements supplémentaires seraient cependant nécessaires pour adapter la technologie.
Au final, que retenir?
Guy Crevier fait à l'évidence le pari de coûts d'exploitation moindre qu'un journal, mais aussi celui de revenus publicitaires supérieurs à ceux d'un journal.
Au Québec, La Presse peut être considérée dans une situation de quasi-monopole, au pire de duopole, dans l'information de grande qualité (avec Radio-Canada; Le Devoir y est aussi mais ses moyens sont limités). La fréquentation de La Presse+, qui est gratuite, devrait être, à terme, supérieure à ses 800 000 usagers papier (la distribution n'est plus territorialement limitée). C'est un fort levier de volume publicitaire.
Il est moins clair dans notre esprit que la publicité pourra être vendue à la prime anticipée. Du moins, tant et aussi longtemps que le journal papier conservera du répondant. Simplement parce que les annonceurs nationaux préféreront sans doute y demeurer pour arroser à moindre coût.
Quoiqu'il en soit, l'explosion de la portée devrait à un certain moment compenser pour les tarifs plus faibles que prévu.
Bref, le départ pourrait être plus difficile que ce que monsieur Crevier a à l'esprit. Mais quelque chose nous dit qu'effectivement La Presse vient de s'engager sur la voie d'une meilleure rentabilité.
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