BLOGUE. La rumeur était dans le marché depuis quelque temps, mais elle n'avait pas eu beaucoup d'échos au Canada. La Baie gobe le grand détaillant du luxe Saks et s'apprête à entrer dans les plates-bandes de Holt Renfrew au Canada. Avec un appui significatif de Teachers, qui met 500 M$ dans l'aventure. Faut-il suivre?
C'est une acquisition qui demande de solides appuis financiers, car les ratios d'endettement du fleuron du détail canadien font un bond important, même après les nouvelles injections (en actions) de Teachers, de West Face Capital et d'une émission publique à venir. Le ratio dette sur bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (BAIIA) passe de 2,7 à 5,7 fois. C'est un niveau élevé, qui nuit généralement au sommeil des banquiers en temps de récession. Il est probablement accepté ici en raison de la haute valeur réputée du parc immobilier de chacune des sociétés.
L'entreprise estime que ses flux de trésorerie devraient lui permettre de ramener cette dette relative sous son niveau d'origine, à 2,5 fois le BAIIA, d'ici quatre à cinq ans.
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Essentiellement, c'est cette opération que le marché aura à l'oeil, et qui sera créatrice ou destructrice de valeur.
Quelle est la création de valeur qu'a en vue La Baie?
Allons-y d'un petit calcul.
La société prédit que son BAIIA augmentera "dans la basse fourchette à deux chiffres" dans les prochaines années. De façon conservatrice, postulons une croissance annuelle composée de 11%. C'est un bénéfice qui passerait donc de 587 M$ (Saks et La Baie combinées) à près de 1G $ dans cinq ans.
Elle voit aussi aussi 100 M$ en synergies potentielles, dont 85% proviendront de l'arrière boutique ( TI, systèmes de gestion des stocks, finance, personnel juridique, etc.). C'est donc un BAIIA qui grimpe à 1,1 G$.
L'acquisition de Saks survient à 10 fois le BAIIA. On ne retiendra pas ce multiple, qui en est un d'acquisition. Optons plutôt pour un multiple de 8,5, niveau auquel s'est régulièrement négociée l'action de Hudson Bay, de même que celle Saks.
On ajuste la dette en fonction de l'objectif espéré de 2,5 fois le BAIIA. On ajoute les nouvelles actions émises.
Résultat: dans cinq ans, si les objectifs sont atteints, et que les taux d'intérêts n'ont pas trop grimpé, le titre de La Baie sera passé de 17$ à 35-36$.
Un doublé, ou, si l'on préfère, un rendement annuel composé de 15%.
C'est un signal d'investissement fort intéressant. Et c'est sans doute pourquoi Teachers est au capital.
Quel est le plan de match?
Quel est le plan de match?
Évidemment, pour que cette valeur soit créée, il faut que le plan de match fonctionne.
Quel est ce plan?
En voici les grandes lignes.
-La Baie compte ouvrir sept nouveaux établissements Saks 5th Avenue au Canada, et 25 "outlets" (Off 5th), des magasins à escompte où s'écoulent à meilleurs prix les stocks qui n'ont pas trouvé preneurs dans les plus grandes surfaces. À titre de comparaison, Saks compte 41 établissements principaux et 67 outlets aux États-Unis. La direction dit vouloir rapidement entrer au Canada, mais l'horizon de temps pour l'ouverture de tous les établissements n'a pas été précisé.
- Il y a un pari Internet. Les activités de ventes en ligne sont bien développées par Saks aux États-Unis. La Baie n'offre pas vraiment de ventes de produits de luxe du genre en ligne au Canada. Le créneau pourrait être porteur.
- Il y a également un projet de transporter dans une fiducie immobilière les parcs immobiliers des deux entreprises. Certains analystes évaluent qu'à lui seul, le Saks 5th Avenue de New York pourrait valoir non loin de 1 G$ US (ce qui veut dire le tiers de la valeur de l'acquisition de 2,9 G$). Il n'est pas clair si cette opération est dans le calcul du remboursement de la dette ou si celle-ci sera remboursée uniquement à même la croissance de la rentabilité de La Baie et Saks.
- Il y a enfin les économies de coûts (100 M$), dont on a parlé plus haut.
Le plan fonctionnera-t-il?
Telle est la grande question.
On a personnellement de la difficulté à voir comment, avec son niveau d'endettement actuel, la société sera en mesure d'investir rapidement dans l'ouverture des nouveaux établissements canadiens.
Sauf si les immeubles sont vendus à la fiducie immobilière. L'opération allègerait alors grandement la dette. Mais les loyers augmenteraient aussi, et la rentabilité serait assurément affectée. Loblaw semble avoir réussi une opération intéressante et rentable pour elle. D'autres sociétés estiment cependant que le jeu n'en vaut pas la chandelle.
Deux autres points sont à peser.
-Pour que le plan fonctionne, il faut que l'avenue produits de luxe porte ses fruits. Or, il y a quelques années, le Groupe San Francisco avait aussi tenté d'attaquer au Canada le créneau du luxe avec ses Ailes de la mode. L'échec avait été retentissant.
- Il faut également que la rentabilité de La Baie continue elle aussi de progresser au rythme anticipé. Or, Target s'amène au Canada. Et même si plusieurs font valoir que le créneau visé est différent, quelque chose nous dit que des habitués de La Baie iront quand même y faire quelques visites et que les ventes de la Baie pourraient être sous pression dans les prochaines années.
Au final?
Le plan nous apparaît plus beau sur papier que ce qu'il risque d'être dans la réalité.
Cela dit, il faut également admettre qu'un rendement annuel composé de 15% sur cinq ans, laisse place à l'erreur. Un rendement moindre de moitié serait encore jugé potable.
Il est tentant de suivre Teachers. Mais le brouillard fait grandement hésiter.
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