BLOGUE. C'est avec grande surprise que l'on a appris jeudi que le fédéral s'était entendu avec l'Ontario et la Colombie-Britannique pour mettre sur pied une commission des valeurs mobilières unique. Après les espoirs donnés par le jugement de la Cour Suprême du Canada, ça chauffe à nouveau pour le Québec. C'est l'Alberta qui décidera de l'avenir de l'AMF.
En 2011, le plus haut tribunal du pays avait dit à Ottawa qu'il ne pouvait créer un organisme unique parce qu'il empiétait sur des juridictions provinciales. Monsieur Flaherty a été astucieux. Il met cette fois en place un système où les provinces s'entendent avec Ottawa sur une loi passe-partout qu'elles adoptent chacune dans leur parlement.
Il n'est pas surprenant que l'Ontario adhère à l'entente. Elle souhaite depuis toujours une commission nationale dont elle accueillerait le siège social et où seraient centralisés tous les pouvoirs.
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L'adhésion de la Colombie-Britannique est plus surprenante. Dans le passé, la province redoutait que certaines façons de faire de Toronto ne soient pas appropriées pour son territoire. Une conversation avec le ministère des finances de l'endroit donne cependant à penser que d'autres considérations ont finalement pesé plus lourd dans sa décision. "Il faut être plus efficace. Et, d'un point de vue perception internationale, ce sera mieux pour les investissements d'avoir une seule entité qui parle pour tout le monde, que 13 différentes qui disent la même chose", nous a-t-on notamment expliqué.
Reconnaissons-le, comme en toute chose, il y a du bon dans ce projet.
Il y a forcément un certain nombre de dédoublements dans un système de 13 juridictions. Le nouveau système conserverait des bureaux régionaux, mais certaines fonctions pourraient probablement être éliminées et les économies être réaffectées à d'autres fonctions. Cela permettrait peut-être de mieux policer le secteur des valeurs mobilières.
En cas de risque systémique, la coordination serait théoriquement aussi renforcée. Exemple: lors de la crise financière aux États-Unis, la SEC décida d'interdire pour un certain temps la vente à découvert sur tous les titres au pays. La mesure fut aussi adoptée par les différentes commissions des valeurs mobilières au Canada. Mais si l'une ou l'autre avait dit non, il peut être argué que le risque systémique au Canada aurait augmenté.
Néfaste pour le Québec
Néfaste pour le Québec
Pour le Québec, la nouvelle est cependant néfaste sous quelques aspects.
Des emplois importants seraient assurément perdus ici en faveur de l'Ontario. L'expertise dans la réglementation des produits dérivés deviendrait par exemple à fort risque de délocalisation vers Toronto.
Au plan économique, il n'est pas sûr que certains outils de développement nés dans le passé auraient pu voir jour avec le nouveau régime. Il est loin d'être assuré par exemple qu'une commission nationale aurait eu la même sensibilité et l'esprit de coopération nécessaire au développement de programmes comme le Régime d'épargne action (REA). Québec peut bien faire une législation et énumérer des conditions de déductions fiscales lors d'un placement dans une entreprise, il faut aussi que l'organisme réglementaire accepte de vérifier le respect de ces conditions.
Surtout, l'Autorité des marchés financiers est l'un des derniers symboles du Québec financier. Ce symbole serait transformé en simple bureau de service.
Qu'arrivera-t-il maintenant?
C'est une question difficile.
Ottawa et l'Ontario ont beau avoir réussi à s'entendre avec la Colombie-Britannique, si le trio veut modifier le cadre réglementaire des valeurs mobilières significativement, il demeure condamné à s'entendre avec les autres provinces. Le but est en effet d'avoir des réglementations miroirs, pas des réglementations divergentes.
Les synergies à espérer de l'entente actuelle sont également somme toute faibles. On ne fait en fait que fusionner les commissions des valeurs mobilières de l'Ontario et de la Colombie-Britannique. Sans le Québec et l'Alberta, cette nouvelle commission ne pèse guère plus que ce que pesait jusqu'à maintenant la commission des valeurs mobilières de l'Ontario et elle ne peut réalistement prétendre à une réelle meilleure efficacité.
Si l'Alberta devait décider de joindre la formation, la sauce se gâterait cependant pas mal pour le Québec. Il risquerait alors de se retrouver isolé, les plus petites provinces rejoignant le consensus. Et il est permis de se demander si un grand nombre d'entreprises ne jugeraient alors tout simplement plus qu'elle (le reste du bassin canadien leur suffisant). Ce serait alors du travail de moins pour l'AMF et possiblement quelques maisons de courtage.
Tout pourrait survivre, et le Québec demeurer sur le champ de bataille. Il conserverait sa capacité à mettre en place ses propres outils économiques. Mais, dans les faits, il aurait également beaucoup perdu.
Aussi curieux que cela puisse paraître, c'est l'Alberta qui décidera de l'avenir de l'AMF.
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