BLOGUE. Il y avait une belle atmosphère, lundi matin, aux installations de Bombardier à Mirabel. Sans avertissement, le CSeries a soudainement mis les gaz et s'est silencieusement envolé. Les acclamations ont aussitôt fusé. C'est un grand jour pour l'avionneur québécois et ses employés. Reste maintenant l'étape ultime: certifier la performance promise et signer des commandes à bon prix.
Le nouvel appareil s'est promené dans les airs pendant plus de deux heures, mais il faudra encore quelques mois pour évaluer si la performance promise est au rendez-vous.
Ces derniers temps, un certain nombre d'inquiétudes ont flotté sur les marchés financiers.
Bombardier a 177 commandes fermes pour le CSeries, et souhaite en avoir 300 à pareille date l'an prochain. Les derniers mois n'ont cependant pas vu beaucoup de commandes entrer. Aucune n'est par exemple venue au Bourget, alors que les versions améliorée d'Airbus et Boeing en ont décroché plusieurs.
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Une récente recension de CIBC Marchés mondiaux révèle que pour son nouvel appareil Neo 320, Airbus a déjà au carnet 1719 appareils, et Boeing en a plus de 1200.
Il faut cependant se méfier de ces chiffres. Le A320 et le 737 de Boeing sont des plus gros porteurs que le CSeries et ciblent le marché du 150 passagers et plus. Les deux modèles de Bombardier (CS100 et CS 300) ciblent plutôt le 100-149 passagers. Chez Airbus, c'est le Neo A319 qui est prévu pour ce marché et chez Boeing, le 737-Max7, deux versions dérivées des plus gros porteurs. La récolte de commandes de ce côté est nettement plus faible: 45 pour Airbus et 30 pour Boeing.
Avec ses 177 commandes fermes, le CSeries est donc nettement toujours en avance.
Deux ou trois questions demeurent tout de même dans les esprits.
Le marché est-il aussi important que prévu?
Bombardier voit un marché de 6900 appareils dans les 20 prochaines années pour le créneau du 100-149 passagers. Et elle espère que le CSeries s'accaparera de 50% de ce marché.
Il est toujours difficile d'évaluer un marché, mais le pronostic semble avoir pris de la force dans la dernière année, puisqu'il n'y a pas si longtemps encore, l'entreprise parlait plutôt d'un marché de 6500 appareils.
Bombardier peut-elle prendre 50% de marché?
Une très grande question.
Il faudra d'abord qu'elle fasse la démonstration que son appareil est effectivement plus économe que tout ce qui se trouve sur le marché. En théorie, le CSeries devrait être 15% plus économique que les porteurs actuels.
Les futurs appareils améliorés d'Airbus et Boeing offriront de meilleurs résultats, mais il est pratiquement impossible que le CSeries ne leur soit pas toujours supérieur. Des améliorations à de vieux appareils, conçus et dessinés pour une plus grande quantité de passagers (160 passagers et plus), peuvent difficilement espérer rivaliser.
Oui, mais, si Airbus et Boeing coupent les prix comme le fait actuellement Embraer avec les jets régionaux?, dites-vous. Ils pourront maintenir leurs parts de marché.
Bombardier pourrait aussi couper les prix et toujours aller chercher cette part de 50%. Il se trouve cependant effectivement ici un risque, pour l'actionnaire, que les retombées ne soient plus les mêmes.
Quel est le potentiel de création de valeur du CSeries?
Quel est le potentiel de création de valeur du CSeries?
C'est de ce risque de guerre de prix que l'on a personnellement surtout discuté avec le grand patron Pierre Beaudoin sur le tarmac.
Monsieur Beaudoin a dit ne pas connaître les prix auxquels Airbus et Boeing offraient actuellement leurs appareils. Mais il a indiqué que les prix auxquels on offrait le CSeries étaient toujours conformes au plan d'affaires. Il a précisé que celui-ci avait été établi en fonction d'une compétition assez féroce.
Donnée intéressante, Pierre Beaudoin a aussi indiqué que si l'objectif était de prendre 50% du marché, "un plan d'affaires utilisait toujours des hypothèses plus conservatrices que l'objectif".
Des commentaires qui donnent à penser qu'une éventuelle guerre de prix n'est pas outre mesure redoutée.
On ajouterait qu'Airbus et Boeing ont aussi à investir significativement pour remodeler leurs appareils et ont tout autant besoin d'un rendement sur le capital, ce qui vient mitiger le risque de guerre de prix.
La direction de Bombardier prévoit que le CSeries pourrait générer entre 5 et 8 G$ US en revenus supplémentaires d'ici cinq ans (ou un peu plus). À titre de comparaison, la division aéronautique a généré des revenus de 8,6 G$ en 2012 et la division transport, 8,1 G$.
C'est une augmentation potentielle de revenus de 30 à 50% si les attentes sont atteintes.
Au-delà du CSeries, combien pour l'actionnaire?
Un mot en terminant sur le plan global de Bombardier. Il faut en effet faire attention de ne pas croire que le CSeries est le seul engin sur lequel mise la société pour sa croissance future.
"Nous planifions, dans un horizon de 5 ans et plus, augmenter nos revenus de 10 à 16 G$ et notre marge bénéficiaire (avant intérêts et impôts) de 3 à 4 points de pourcentage, par rapport à 2012", disait récemment Pierre Beaudoin.
Outre du CSeries, cette croissance devrait provenir de la croissance des activités des avions d'affaires (notamment avec l'arrivée du Learjet 85 et du Global 7000 et 8000), de même que de nouveaux produits dans la division transport.
En postulant que le niveau de dette demeurerait relativement le même qu'aujourd'hui, on s'est récemment amusé à essayer de déterminer ce que pourrait valoir Bombardier dans cinq ans.
Voici deux hypothèses:
- Si l'on ajoute 10 G$ de revenus aux actuels, et que la marge bénéficiaire avant intérêts et impôts grimpe de 3%, le titre devrait se négocier autour de 12$. C'est 2,4 fois sa valeur actuelle (5$).
- Si l'on ajoute 16 G$ de revenus aux actuels, et que l'on grimpe la marge de 4%, le titre devrait alors se négocier autour de 17,25$. C'est presque 3,5 fois le cours actuel.
Tout cela n'est encore que sur papier, mais avec l'envolée du CSeries, l'on peut aujourd'hui affirmer que Bombardier a réussi son décollage vers ces destinations espérées.
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