BLOGUE. Le gouvernement du Québec doit céder aux demandes d'Alcoa, estime l'ancien premier ministre du Québec, Jacques Parizeau. Céder oui, mais pas si rapidement, et pas avant d'avoir obtenu certaines garanties.
La chronique de monsieur Parizeau dans les journaux Québecor est fort intéressante. Il est conscient qu'il y a une part de bluff dans la menace d'Alcoa de fermer ses alumineries si Québec maintient la hausse de tarif de 50% (prévue pour 2015), mais il estime aussi qu'il est "inutile pour le gouvernement de finasser pendant des mois" et qu'il doit céder.
Le portrait de l'industrie qu'il dresse est conforme à ce que voient la plupart des analystes. Une production chinoise qui s'est étonnamment accélérée dans les dernières années et qui est venue complètement déséquilibrer le marché. Barclays Capital estime notamment que la production chinoise a augmenté de 18% par année dans la dernière décennie.
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On ajouterait un autre phénomène: l'entrée des grandes banques d'affaires. En profitant de taux d'intérêt faibles et de perspectives favorables pour l'aluminium (ce n'est pas pour rien qu'en 2008 Alcoa avait accepté de passer au tarif L sept ans plus tard), elles se sont mises à accumuler de l'aluminium, à le stocker dans des entrepôts qu'elles achetaient, et à le jouer sur les marchés à terme. Goldman Sachs n'a entre autres pas lésiné sur l'opération.
Vint la crise financière, et ce qui devait arriver, arriva. De 1 million de tonnes métriques qu'ils avaient en moyenne été ces dernières années, les stocks d'aluminium explosèrent à plus de 5 millions de tonnes. Et ils s'y maintiennent toujours, malgré la reprise.
Pourquoi s'y maintiennent-ils?
Première raison. Parce que, malgré la chute de prix du métal blanc, les Chinois ont continué à ajouter de la capacité. Ils bâtissent de nouvelles usines, performantes, mais ne ferment pas aussi rapidement leurs vieilles installations, régime communiste oblige.
Deuxième raison. Parce que, si le prix de l'aluminium a beaucoup reculé sur les marchés financiers (à 0,80$ US la livre actuellement), les producteurs d'aluminium n'ont pas souffert dans une mesure aussi extrême. Aussi curieux que cela puisse paraître, il y avait sur le marché une forme de pénurie d'aluminium physique. La faute justement aux grandes banques d'affaires, qui, après avoir accumulé des lingots, roulent maintenant leurs positions sur les marchés financiers (en achetant spot et vendant à terme), tout en conservant le métal pour garantir celles-ci.
Grâce à cette situation, les producteurs d'aluminium recevaient (et reçoivent toujours) une prime de près de 15% sur le prix au marché, ce qui a retardé une restructuration plus musclée du secteur.
Les restructurations s'en viennent
Les choses devraient cependant changer prochainement pour les alumineries. Et pas pour le mieux, du moins à court terme.
La London Metal Exchange vient d'émettre une nouvelle règle, qui entrera en vigueur le 1er avril 2014, exigeant que les entreprôts dont les délais de livraison dépassent 50 jours livrent plus de métal qu'ils n'en reçoivent.
Les primes pour l'obtention d'aluminium physique devraient donc prochainement se mettre à fondre, et il est probable que la rentabilité des producteurs souffrira encore plus.
C'est une bonne nouvelle à long terme pour les producteurs à faibles coûts. La Chine devrait enfin fermer ses plus vieilles usines, et les producteurs occidentaux faire de même avec celles qui sont les moins rentables.
À court terme, c'est cependant un bien mauvais moment à passer. Et on peut comprendre Alcoa de réagir fortement.
Faut-il céder à Alcoa?
Faut-il céder à Alcoa?
Faut-il dans ce contexte céder à Alcoa?
Augmenter les prix de 50% comme nous y autorise l'entente de 2008, serait, comme le dit monsieur Parizeau, nettement déraisonnable.
Dans les souliers du gouvernement, pour reprendre l'expression de l'ancien premier ministre, on finasserait cependant un peu.
Un classement de la firme Wood Mackenzie place actuellement les alumineries de Deschambault et Bécancour au troisième et quatrième rang de la vingtaine d'alumineries d'Alcoa dans le monde, en termes de coûts de production (cash costs). Leur coût est respectivement à 0,74$ US et 0,75$ US/livre, ce qui les place au 28e et 30e rang mondial.
C'est moins bon pour l'unité restante de Baie-Comeau (après la fermeture des Söderberg). Son coût de 0,82$ US/livre la positionne dans la moyenne des usines, et au 52e rang mondial (sur au moins 159, puisque la dernière d'Alcoa est au 159e rang).
Évidemment ces coûts sont avant la hausse de prix de l'électricité prévue pour 2015. On peut néanmoins voir que Québec semble avoir un peu d'espace de négociation pour faire des gains par rapport à l'entente actuelle, finissant en 2015. Il serait en effet étonnant qu'Alcoa tienne vraiment à fermer ses meilleures usines. D'autant que ses ratios d'endettement sont élevés et qu'elle a besoin de ses usines actuellement les plus performantes pour demeurer dans les bonnes grâces des agences de notation.
Québec pourrait peut-être obtenir un meilleur tarif qu'actuellement dans les années de cycle haussier. Le gouvernement pourrait peut-être aussi préférer s'assurer que le projet de remplacement des Soderberg de Baie-Comeau (1,2 G$) ira de l'avant. Dans l'état actuel du marché, on a personnellement des doutes qu'Alcoa ira de l'avant. Le projet est d'ailleurs repoussé depuis quelques années. Ces 900 emplois semblent effectivement plus à risque.
Conclusion?
Québec doit assurément reculer. Mais non sans obtenir un peu d'argent, ou des garanties d'investissement à Baie Comeau sur un horizon déterminé. Il vaut la peine de finasser.
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