Une brochette de personnalités bien connues dans le milieu économique vient de lancer un manifeste qui demande que le gouvernement du Québec autorise l'exploration pétrolière, de même que l'exploitation de la ressource, en définissant rapidement un cadre réglementaire, qui repose sur de hauts standards de protection de l'environnement. Qu'en penser?
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'annonce pouvait difficilement tomber un plus mauvais jour: au même moment, un train du CN déraillait au Nouveau-Brunswick avec un nouveau feu d'artifice forçant l'évacuation de 150 résidents du secteur. Tout juste avant Noël, en conférence avec les investisseurs, la direction du CN avait longuement explicité les dernières mesures prises pour améliorer la sécurité de ses convois et soutenait que ses pratiques étaient parmi les meilleures de l'industrie.
L'accident illustre que l'on peut afficher les plus hauts standards (de protection de l'environnement) d'une industrie et ne quand même pas être à l'abri d'un problème qui cause du dommage.
Cela dit, on est assez d'accord avec le manifeste des Bernard Landry, Monique Jérôme Forget et autres. L'argumentaire est bien amené et le ton est bon.
La seule interrogation que l'on a en fait est sur le sentiment d'urgence qui semble animer les signataires du manifeste.
En entrevue, la ministre des ressources naturelles, Martine Ouellet, a expliqué qu' elle avait annoncé en septembre la création de deux comités pour évaluer l'enjeu pétrolier au Québec. L'un sera chargé de faire rapport sur les risques environnementaux et les moyens de les mitiger, l'autre sur le potentiel économique de la ressource.
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Ces comités sont en train d'être constitués et leurs membres devraient être prochainement annoncés. Avant le dépôt de ces rapports, le débat est difficile à engager. L'un des signataires, le maire de Rimouski, Éric Forest, en a même convenu publiquement.
Le Klondike économique?
Le Klondike économique?
Il y a au Québec deux gisements pétroliers d'importance.
Old Harry, qui se situe dans le golfe du Saint-Laurent, et chevauche la frontière entre le Québec et Terre-Neuve. L'autre est sur l'île d'Anticosti.
Il s'est dit et écrit toutes sortes de choses sur le potentiel économique de ces gisements. Selon une source, Old Harry contiendrait 2 milliards de barils de pétrole, selon une autre, il en contiendrait 6 milliards.
Pour l'île, on parle d'un gisement de plusieurs milliards de barils, avec des estimations qui se promènent entre 30 et 40 milliards de barils. On ne sait malheureusement pas quel pourcentage de cette manne est récupérable. Et la probabilité du non-économique, même avec les technologies d'aujourd'hui, n'est pas à écarter.
Il faudra être prudent dans la discussion qui s'engage avec ce manifeste. Il y aura de l'émotion, et il est un peu tôt pour y donner libre cours. D'où l'interrogation sur l'urgence du manifeste.
Une note de l'Institut économique de Montréal publiée en 2012 indiquait que même si l'on ne récupérait que le dixième des réserves de pétrole postulées pour le Québec, celles-ci pourraient être évaluées à la somme extraordinaire de 400 G$.
C'est un chiffre effectivement extraordinaire, qu'il convient cependant de mettre en perspective.
L'impact sur le trésor public serait évidemment moindre que ce 400 G$. Il y aurait certes des redevances à prélever quelque part, et des revenus d'emplois plus élevés, mais il ne faut pas oublier non plus que l'impôt des sociétés est basé sur leur bénéfice net. On n'a pas eu le temps d'analyser la marge nette d'un producteur de pétrole (10-15-20%, dépendamment du cycle?), mais c'est sur ce résiduel (20% de 400 G$ = un bénéfice de 80 G$) nettement moindre que les 400 G$ que le trésor public se servirait. À raison d'un taux d'imposition combiné autour de 27% (on tombe à 22 G$, dont plus de la moitié irait au fédéral). Et ce, divisé sur plusieurs années d'exploitation (en postulant sur 20 ans, c'est 500 M$ de revenus par année pour Québec).
Mais il faut que le pétrole d'Anticosti soit récupérable. C'est là que semble se trouver la manne. Bref, l'on peut choisir de voir le pétrole du Québec comme le Klondike, mais on peut aussi choisir de le voir comme un enjeu sur lequel, au final, on se sera longuement chamaillé pour de l'argent de poche.
Madame Ouellet a raison d'avoir un penchant favorable à l'exploitation. Elle a aussi raison d'appeler tout le monde à un peu de patience. Attendons les rapports des comités avant de déchirer nos chemises.
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