Où s'en va Bombardier? La question était dans l'air jeudi, alors que la haute direction livrait ses résultats du deuxième trimestre et répondait aux interrogations sur son plan de réorganisation.
Voici ce qu'on retient de la discussion. Avec notre conclusion globale en fin de chronique.
Les divisions ne sont pas à vendre
La réorganisation fait en sorte que la division des avions d'affaires et celle des avions commerciaux deviennent complètement indépendantes l'une de l'autre et seront dorénavant directement sous la supervision de Pierre Beaudoin.
Elle fait également en sorte qu'une nouvelle division est créée, qui servira à donner du levier aux ventes de pièces d'avions novatrices (grâce aux derniers programmes de développement CSeries, Learjet et Global).
Le tout est accompagné d'une réduction de 1 800 postes au sein du personnel administratif.
Le but officiel est de donner plus d'agilité à l'organisation, de réduire ses coûts, et de lui permettre de prendre des décisions plus rapides lorsqu'elle voit des occasions.
En coulisses, il a beaucoup été spéculé sur le fait que la nouvelle structure pouvait aussi signifier que l'on préparait la vente de l'une ou l'autre des divisions, ou que l'on se préparait à ouvrir le capital de l'une ou l'autre à des partenaires.
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Monsieur Beaudoin a indiqué à deux reprises que des ventes ou prises de participation n'étaient pas dans les plans. Pressé sur le sujet, il n'a pas voulu l'exclure, mais en précisant qu'il ne voulait pas spéculer.
On n'a personnellement jamais cru au scénario de la vente d'une division. Simplement, parce que la famille Beaudoin n'est pas du genre à construire et à se départir de ce qu'elle construit. La vente de BRP, il y a quelques années, était à l'initiative de Paul Tellier, et n'était survenue que parce que l'entreprise était dans une très mauvaise posture. Bombardier n'en est pas là.
La possibilité d'un nouvel acteur arrivant à la division des avions commerciaux nous a cependant toujours paru une possibilité. Grâce à un partenariat avec le constructeur Comac, Bombardier tisse des liens de plus en plus étroits avec la Chine. Elle travaille d'ailleurs actuellement à une percée du marché chinois avec ses Q-400 et à l'installation d'une usine d'assemblage là-bas.
Un partenariat Bombardier-Comac permettrait peut-être éventuellement de créer un troisième géant mondial dans l'aéronautique, capable de concurrencer Airbus et Boeing. Bombardier se chargerait des plus petits appareils et Comac des plus gros.
Les troubles en Russie viennent cependant pas mal refroidir ce scénario. Bombardier est engagée dans d'importants partenariats ferroviaires avec les Russes, et les sanctions commerciales compliquent ceux-ci de jour en jour.
La Chine est aussi un pays imprévisible sur la scène mondiale, et les troubles avec la Russie permettent de douter que l'on envisage sérieusement une telle opération.
C'est une chose d'avoir quelqu'un comme partenaire régional ou dans des services, c'en est une toute autre de l'avoir pesant dans son capital et de risquer un boycott mondial.
On est donc effectivement porté à croire que les divisions resteront ce qu'elles sont, et à l'intérieur de Bombardier, pour longtemps encore.
La réorganisation paiera-t-elle?
La réorganisation paiera-t-elle?
Évidemment, les compressions dans le personnel administratif apporteront des économies. Bombardier ne veut pas s'avancer sur la hauteur de celles-ci, mais les analystes parlent de 130 à 200 M$ US.
Il n'est cependant pas clairement ressorti que ces économies permettraient aux bénéfices de Bombardier de s'améliorer significativement.
L'intérêt marqué pour le CSeries à Farnborough, dans un contexte particulièrement difficile de suspension des vols d'essais, fait se demander si Bombardier n'a pas vendu à plus faible prix ses derniers CSeries. Et si elle ne sent pas le besoin de simplement regagner sa marge.
Peut-être aussi n'agit-elle que préventivement, au cas où un autre incident ne vienne retarder l'entrée en service du CSeries.
Bref, les mises à pied pourraient peut-être payer en économies, mais, celles-ci ne sont pas nécessairement acquises.
Là où la réorganisation pourrait cependant être payante, c'est avec la nouvelle division de ventes de pièces. Monsieur Beaudoin n'a pas voulu donner de précision sur son poids actuel dans Bombardier, et surtout sur les espérances de création de valeur qui lui sont attachées. Il a cependant parlé "d'un grand potentiel dans le secteur".
Plus de détails devraient être communiqués en janvier. Il faudra néanmoins probablement quelques années avant que la division ne contribue de façon sentie.
Une interrogation sur les jets régionaux
Une autre interrogation, qui a fait moins de bruit dans les médias ces derniers jours, mais qui mérite une certaine attention, se trouve dans la performance d'Embraer.
À Farnborough, le constructeur brésilien a obtenu 159 commandes pour ses E-Jet. Bombardier n'a obtenu aucune commande de CRJ.
Monsieur Beaudoin a soutenu que vis-à-vis les jets régionaux actuels d'Embraer, ceux de Bombardier étaient toujours en avance. Ceux livrés à American Airline dernièrement génère même des économies de 5% sur leurs prédécesseurs, a-t-il dit.
Il a indiqué que Bombardier investissait et allait continuer à investir pour les améliorer, afin d'être en mesure de concurrencer les E-Jet deuxième génération d'Embraer, qui doivent entrer en service en 2018. "On a de bons plans et on montre aux clients comment on va rester en avance", a-t-il précisé.
C'était la première fois que l'on entendait parler de ces investissements en continue. Il n'est pas clair dans notre esprit si, après le CSeries, Bombardier ne sera pas forcée de s'embarquer dans un nouveau programme d'investissement pour s'assurer que ses CRJ demeurent concurrentiels.
Au final, que retenir?
Si elle n'est pas rendue nécessaire par des coupes de prix destinées à rendre plus attrayant le CSeries, la réorganisation est un développement positif.
Elle apporte des économies qui, s'il n'y a pas de nouveaux délais dans les vols d'essais du CSeries, aideront éventuellement à une augmentation des marges.
La nouvelle division de pièces ouvre aussi une nouvelle voie de création de richesse à long terme.
Il reste cependant à voir si la richesse potentielle créée par cette division ne sera pas pour un temps contrebalancée par la nécessité de réinvestir d'ici quelques années dans les CRJ.
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