BLOGUE. Il faut instaurer au Québec un nouveau modèle mondial de régime minier, modèle qui fera exploser les redevances. Il faut aussi investir dans plusieurs sociétés minières afin que le Québec profite de leur rentabilité et récupère l'aide qu'il leur consent en infrastructures routières, portuaires et en électricité.
La première suggestion vient d'Yvan Allaire, un professeur universitaire à l'UQAM et aux HEC, ancien administrateur de la Caisse de dépôt. La seconde, de l'ancien premier ministre du Québec, Jacques Parizeau. Les deux participaient mardi à un intéressant colloque de l'Institut de recherche en économie contemporaire (IREC) aux HEC.
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Un nouveau régime minier
D'abord sur la suggestion de monsieur Allaire.
Dans une récente étude comparative des taux d'imposition entre provinces (Digging Deeper, Canadian mining taxation), Price Waterhouse simule la rentabilité d'exploitation d'une nouvelle mine au Québec.
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La mine projetée a des réserves de 2 millions d'onces, qui seront exploitées sur 10 ans (plus trois ans de préparatifs), à raison de 200 000 onces par année. Les quatre premières années, le prix de l'or est à 1200$ l'once, pour le reste du temps, il est à 1050$ (à 1 700 $ l'once aujourd'hui).
Résultat de l'exploitation du projet: un taux de rendement interne de 71,4%. Dit autrement, en moins d'un an et demi d'exploitation votre mine est payée et le reste des années est du bénéfice.
De sa carrière, monsieur Allaire dit n'avoir jamais vu de projets aussi payants.
Sa suggestion: faire en sorte que la rentabilité des sociétés minières du Québec soit plafonnée à un taux de rendement de 30% et que tout ce qui excède revienne plutôt au Québec sous forme de redevances.
C'est big et ce serait tout un coup de pouce pour les finances publiques du Québec. Il calcule que sur dix ans, un projet du genre rapporterait sous le régime actuel 585 M$ au trésor. Alors que sous le plafond du 30% de rendement, Québec récolterait plus de 1,9 G$. Les redevances sont au moins trois fois plus importantes et plus le projet augmente en importance, plus il peut devenir payant.
Ce n'est pas un calcul de monsieur Allaire, mais en appliquant une simple règle de trois aux redevances reçues cette année (304 M$), c'est près de 1 G$ de plus à chaque année qui entrerait dans les coffres du Québec. Et probablement même davantage.
Une bonne idée?
Peut-être, mais il apparaît difficile de penser que l'on pourra amener ça seul.
Ce serait faire un bon coup financier pour quelques années, mais à terme, ce serait aussi probablement la fin du développement et de l'exploration minière au Québec. Les minières continueraient bien entendu d'exploiter leurs gisements actuels (le minerai ne s'en ira pas et les infrastructures non plus), mais continueraient-elles à explorer ici? Le doute est important. À quoi bon investir dans des endroits où notre rendement est plafonné à 30% quand on a le monde ouvert devant soi sans plafond? Et l'Ontario avec un taux de rendement interne à 78,2%...
D'autant que le 30% n'est pas garanti, si jamais les prix s'effondrent.
Il n'est pas sûr non plus que l'on enverrait un bon message comme terre d'accueil d'investissements. On a à une certaine époque consenti un régime aux sociétés minières qui leur laissait entrevoir des bénéfices sans trop de contraintes pour le futur. Si on leur demande soudainement beaucoup plus, il faudra aussi expliquer à Terre-Neuve pourquoi on refuse de rouvrir Churchill Falls et de partager avec elle les bénéfices d'un marché plus porteur qu'on ne l'avait prévu dans le temps.
Cela dit, il vaut la peine de creuser l'idée de monsieur Allaire, dans une approche pancanadienne, avec peut-être un peu plus de retenue.
La suggestion de monsieur Parizeau
La suggestion de monsieur Parizeau
Pendant ce temps, l'ancien premier ministre du Québec suggère, lui, de créer une société d'état spécialisée de l'industrie minière pour prendre des participations dans différentes sociétés minières. Les capitaux alimentant cette société proviendraient d'Investissement Québec, de la Caisse de dépôt et d'appels à l'épargne.
Le rendement obtenu sur ces investissements pourrait contrebalancer les "cadeaux" que l'on fait aux minières en port de mer, infrastructures routières et infrastructures électriques. Et notre participation nous permettrait de mieux comprendre ce qui se passe et de surveiller le jeu.
L'ancien premier ministre semble notamment redouter que le gouvernement n'investisse trop dans le développement de nouveaux barrages au profit des minières dans les prochaines années et ne leur revende l'électricité à plus faible prix qu'elle ne coûte à produire. Ce n'est pas nécessairement ce qu'on a compris de l'annonce du Plan nord. On y prévoit 47 G$ d'investissements en électricité dans les 25 prochaines années, mais il se pourrait que ce soit plutôt à des fins d'autarcie et pour se prémunir contre la fin de l'entente avec Churchill Falls dans 30 ans. L'inquiétude de monsieur Parizeau n'en est cependant pas moins fondée.
Sur le fond, sa suggestion ressemble à celle de François Legault et Charles Sirois, qui proposent de créer un fonds spécial d'investissement de 5 G$ dans les ressources naturelles, avec un apport de capitaux publics et privés.
Ce peut être une bonne idée. Ce qui agace, c'est que beaucoup d'intervenants semblent convaincus que le monde a changé et que le secteur minier est à jamais entré dans une ère de prospérité. La Chine, le Brésil et l'Inde soutiendront la demande pour les années à venir, disent-ils.
Le problème est que "soutenir la demande", ne veut pas nécessairement dire "soutenir de hauts prix". Si la planète se met à être aussi optimisme que les intervenants rencontrés lors du colloque, l'offre explosera dans quelques années, et les prix risquent de retomber significativement.
Ce qui voudrait dire des pertes potentiellement importantes pour la super société de monsieur Parizeau ou le fonds Sirois-Legault..
En conclusion
Il sera intéressant de voir la réaction de Québec aux propositions Allaire et Parizeau. Les deux méritent d'être soupesées, mais ont besoin d'être bien réfléchies.
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