Après avoir assisté pendant plusieurs mois aux spéculations sur un mariage entre Jean Coutu et Metro, serait-on sur le point d'en entendre de nouvelles portant sur un triangle amoureux ?
La question nous est venue à l'esprit, il y a quelques jours, après que Vishal Shreedhar, analyste de la Financière Banque Nationale, eut dit s'attendre à ce que Rexall, le bras de pharmacies canadiennes de Katz Group, prenne dans un avenir indéterminé le chemin de la vente au plus offrant.
Le commentaire coïncide avec l'arrivée de Jürgen Schreiber aux commandes de Rexall et de ses 460 établissements. M. Schreiber a été le grand patron de Shoppers Drug Mart pendant quatre ans (jusqu'en 2011). Il était auparavant chez A.S. Watson Group, une chaîne européenne de magasins de produits de santé et de beauté.
L'analyste dit croire qu'une partie de la rémunération de M. Schreiber est basée sur l'attribution d'actions de Rexall, ce qui est un indicateur d'une éventuelle monétisation. Il se garde cependant de dire que cette monétisation est imminente.
Et il fait bien. Si on arrivait à la direction d'une entreprise, on commencerait par essayer d'améliorer sa rentabilité avant de la mettre en vente, histoire d'obtenir un meilleur prix. Il pourrait donc s'écouler quelques années encore avant que l'écriteau «à vendre» ne soit accroché.
Reste qu'il y a longtemps qu'on avait entendu parler de la possibilité qu'un bloc important de pharmacies soit mis en vente.
Groupe Jean Coutu serait-il intéressé ? Quelque chose nous dit que oui. Aurait-il une chance ? Voyons voir.
Des acteurs étrangers pourraient être intéressés, mais...
Par «acteurs étrangers», on entend des entreprises comme Wal-Mart, Walgreens et CVS. Toutefois, les actifs de détail canadien sont aujourd'hui moins attrayants pour les entreprises étrangères, de sorte qu'il est peu probable que l'une d'entre elles soit intéressée. La fracassante sortie de Target en fait assurément réfléchir plusieurs. Le doute est probablement encore plus grand dans le secteur des pharmacies.
Au cours des dernières années, les gouvernements provinciaux sont souvent intervenus avec des décrets qui ont pesé sur la rentabilité des établissements. Quand on est habitué d'évoluer dans un libre marché, se lancer dans un encan pour un actif situé dans un marché plus ou moins libre n'est probablement pas un automatisme.
Cela nous ramène sur le marché national. Qui pourrait être intéressé ?
Loblaw (L, 68,36 $)
Peut-être, mais avec l'acquisition de Shoppers Drug Mart, la chose risque de ne pas être simple. Le Bureau de la concurrence a autorisé la fusion du plus grand épicier avec le plus grand pharmacien. Autoriser l'achat de Rexall serait autoriser un achat plus gros que Jean Coutu (460 établissements par rapport à 416). Des reventes seraient vraisemblablement nécessaires. L'attrait est moyen : faible probabilité de réalisation.
Empire (EMP.A, 81,96 $)
Meilleure probabilité de ce côté. C'est d'ailleurs la société que l'analyste Shreedhar voit comme celle ayant le plus de chance d'obtenir l'actif.
La société mère de Sobeys détient la bannière de pharmacies Lawton's dans l'Atlantique, et Rexall n'a aucune pharmacie dans cette région. L'acquisition permettrait une belle complémentarité. Il y a du dédoublement en Ontario avec les pharmacies intégrées aux épiceries Safeway, mais ce dédoublement est moins important que celui de Shoppers et ne devrait pas poser problème.
Empire a cependant de la difficulté à intégrer Safeway, qu'elle a payé cher en 2013, et dont la rentabilité a baissé. Si une offre devait survenir aujourd'hui, il n'est pas sûr que la société se lancerait avant tant de force. Il faudra voir la suite des choses avec Safeway.
Metro (MRU, 35,73 $)
En 2013, Metro s'intéressait aussi à Safeway. Elle s'était fait coiffer au fil par Empire et estimait que celle-ci avait payé trop cher.
Disciplinée, Metro n'en souhaite pas moins faire grandir ses activités de pharmacie (elle détient notamment Brunet). L'entreprise est actuellement confinée en Ontario et au Québec, dans des marchés de l'épicerie à maturité. Une présence accrue dans le secteur pharmaceutique lui ouvrirait un marché en croissance en raison du vieillissement de la population. De plus, elle lui permettrait d'implanter une infrastructure de distribution dans l'Ouest. Grâce à son bloc d'actions dans Alimentation Couche-Tard, l'argent n'est pas un problème.
Bonne probabilité de réalisation.
Groupe Jean Coutu (PJC.A, 19,91 $)
C'est évidemment l'acquéreur auquel on pense en premier lieu. L'analyste de la Financière Banque Nationale voit des difficultés dans le fait que le modèle de Jean Coutu en soit un de franchisés (les Rexall sont des magasins de type corporatif).
Ça n'a pas été un problème en 1994 lors de l'acquisition de Brooks, qui a été un succès. Ça peut en avoir été un en 2004 avec l'achat des Eckerd, qui était couplé à un fort niveau d'endettement. L'acquisition de Rexall demanderait encore une fois des emprunts très élevés ou une émission d'actions. Mais Jean Coutu pourrait faire davantage grimper le bénéfice que tous les autres candidats, calcule Vishal Shreedhar.
Dans son livre Sans prescription ni ordonnance, publié en 2010, Jean Coutu ne fermait pas la porte à une nouvelle aventure. Il qualifiait l'achat d'Eckerd de «rendez-vous reporté». «Nous avons beaucoup appris de cette expérience et nous comptons bien demeurer vigilants afin qu'elle nous serve tout à la fois de tremplin et de balise lorsque de prochaines possibilités d'expansions en sol américain se présenteront à nous», écrivait-il.
C'est pour cela qu'on croit qu'un triangle amoureux se dessine entre Rexall et ses courtisans les plus probables, Jean Coutu et Metro.
Sur le radar - Les recommandations des analystes qui suivent le titre de :
Jean Coutu (PJC.A, 19,91 $)
› 5 Conserver
› 3 Sous-performance
› 1 Vendre
› 1 Surperformance
Cible moyenne: 22,10 $
Metro (MRU, 35,73 $)
› 1 Achat
› 6 Surperformance
› 5 Conserver
› 1 Sous- performance
Cible moyenne: 39,30 $
Source : Bloomberg