L'ancien ministre libéral Raymond Garneau lançait jeudi ses mémoires sur sa vie politique aux gouvernements de Jean Lesage et de Robert Bourassa. Notre jugement sur le personnage et le livre en fin de chronique, mais, d'abord, une petite histoire qui ne s'y trouve pas.
C'était au mois de juin 2002. Le diable était aux vaches chez les libéraux fédéraux alors que le premier ministre Jean Chrétien venait tout juste d'indiquer la sortie à son ministre Paul Martin. Monsieur Chrétien n'avait pas encore annoncé son départ de la vie politique et trouvait que monsieur Martin s'activait un peu trop en coulisses pour lui succéder.
Le congédiement de Paul Martin comme ministre des finances était une grosse affaire. À l'époque, il était fort populaire. C'est sous sa férule que le fédéral s'était débarrassé de son déficit à la fin des années 1990. Et il avait même commencé à rembourser de la dette.
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Journaliste au Soleil, l'idée nous était venue de faire une petite recension de points de vue sur l'impact du départ du ministre des finances pour l'économie du pays.
Coup de fil à Raymond Garneau, ministre des finances pendant six ans sous Robert Bourassa.
"Je ne crois pas que l'impact soit majeur pour l'économie canadienne. Monsieur Martin a tellement bien travaillé qu'il faudrait sans doute bêtise par-dessus bêtise pour renverser la crédibilité économique du gouvernement. Le plus sérieux de la question n'est pas là", avait-il dit.
Le plus sérieux de la question n'est pas là?
"Il n'y a pas réellement d'opposition au Canada. C'est un non-sens que le Bloc québécois soit là et il ne peut pas faire grand-chose. Il reste le Parti libéral. Mais si à l'intérieur du parti ceux qui ont de nouvelles idées se font taper sur la tête, ce n'est pas propice à un débat de société", avait-il poursuivi.
Et monsieur Chrétien?
"Je pense qu'il va partir. Ce serait très sain pour le Parti libéral. S'il s'accroche, il risque d'être placé dans une situation très difficile."
Ça y est, on avait notre manchette: Raymond Garneau estime que Chrétien devrait quitter.
Quelques jours plus tard
Quelques jours plus tard
Deux semaines allaient s'écouler.
Un matin, alors que l'on est en congé dans la capitale fédérale, un journal titre à sa une: "Chrétien chasse Raymond Garneau de la Banque du Canada".
Monsieur Garneau était administrateur de la Banque. Son mandat arrivait à échéance. Ses pairs étaient tellement convaincus qu'il allait être renouvelé que le conseil l'avait désigné pour être administrateur principal dès l'été. Il devait présider son premier conseil dans les jours suivants.
Jean Chrétien n'avait pas aimé ses déclarations.
-Ayoye, voilà un développement assez inattendu, s'était-on dit.
Ce n'était pas la faute du journaliste, mais il était un rouage important. Pendant quelques jours, le malaise nous habita.
Quelques mois passèrent, puis, un jour, l'actualité ramena le besoin d'un entretien avec monsieur Garneau.
"Comment réagira-t-il? Est-il de la classe des petits jouteurs politiques qui font porter la responsabilité d'un revers de fortune sur les journalistes? Ou est-il plutôt de celle des grands hommes d'État, qui assument pleinement?", se demandait-on.
-Bonjour monsieur Garneau, je ne sais pas si l'entretien sera confortable, c'est moi qui vous ai fait perdre votre emploi à la Banque du Canada...
-Monsieur Pouliot, ce que j'ai dit a été fidèlement rapporté et je n'ai rien à en redire, avait-il rapidement rétorqué.
La réponse à l'interrogation venait de tomber: il était de la classe des grands.
Le livre vaut la lecture. Particulièrement rigolé sur l'anecdote où le maire Drapeau tente de convaincre Québec d'acheter le paquebot France et d'en faire un complexe casino-hôtel flottant pour Montréal. La réaction de monsieur Garneau est savoureuse.
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