L'histoire commence à la fin août, quelques jours avant le départ pour les vacances.
«Hum, pas cher, ce titre. Les multiples sont faibles. De plus, c'est le fabricant de l'EpiPen. Les allergies aux piqûres semblent augmenter, il faudrait peut-être regarder ça plus à fond.»
Quelques jours plus tard, alors que le méritant vacancier se repose dans ses terres des Etchemins et s'amuse à tracer un sentier, la main lui chauffe soudainement. Il échappe la débroussailleuse, lève la tête, et s'aperçoit qu'il est l'objet de l'attaque coordonnée d'une vingtaine de guêpes en furie. La débroussailleuse a effleuré un nid dans le buisson.
Fuite dare-dare. Quelques minutes plus tard, une pensée germe : «C'est peut-être un signe, quel était le nom de cette société déjà ? ! ?»
Mylan (Nasdaq, MYL, 45,95 $ US).
S'amorce donc l'analyse du titre.
L'entreprise américaine est spécialisée dans les médicaments génériques, mais détient l'EpiPen d'origine.
Après avoir affiché une croissance annuelle de ses ventes de 8 % à 12 % au cours des dernières années, elle a vu son bénéfice se heurter à un mur en 2013. Principalement cependant en raison du retard de la Food and Drug Administration (FDA) à approuver certains de ses nouveaux produits génériques. La direction prévoit que tout se replacera et que son bénéfice sera d'au moins 3,25 $ US par action en 2014.
Le cours de l'action est à peine supérieur à 14 fois le bénéfice. Attrayant pour un titre qui s'est historiquement négocié à 17 fois le bénéfice prévu.De la concurrence à venir
Un petit hic : bien qu'aucun produit générique n'ait encore été approuvé, l'EpiPen pourrait affronter des médicaments rivaux au cours des prochains mois. Le produit ne compte que pour 12 % des ventes de Mylan, mais la compétition pourrait quand même exercer de la pression sur les prix. C'est un facteur à considérer.
Voilà cependant que l'entreprise est aussi en processus d'acquisition d'Abbott, une grande société européenne avec qui elle va pratiquer une opération d'inversion. Elle déménagera son siège social aux Pays-Bas, où la fiscalité est plus clémente qu'aux États-Unis, tandis qu'Abbott transférera ses droits de propriété intellectuelle au Luxembourg. Le taux d'imposition de la société devrait passer de 25 % à 18-20 % dans deux ans.
Mieux, la direction prévoit que les ventes de l'entreprise progresseront dans l'avenir de 15 % annuellement.
La Deutsche Bank met tout cela dans un modèle, mais réduit de moitié, à 7 %, la croissance prévue des revenus. Voici ce que cela donne en ce qui concerne le bénéfice par action :
2015 : 4,22 $ US ;
2016 : 4,78 $ US ;
2017 : 5,32 $ US ;
2018 : 5,77 $ US.
En conservant le multiple actuel (14), on obtient un titre qui pourrait gagner 75 % sur moins de quatre ans (à plus de 80 $ US). Avec de surcroît des perspectives qui sont de moitié moindres à celles qu'anticipe la direction. Une véritable tentation du diable !Problème de conscience
C'est ici cependant que survient une autre attaque. Celle de la conscience.
«Est-ce OK d'investir dans une société qui cherche à éluder les principes fiscaux de son pays ?»
- Non, mais, les Américains exagèrent, et font de la double imposition sur les revenus étrangers, répond le malin.
- Tout le monde devrait respecter les principes des lois, et le transfert de la propriété intellectuelle au Luxembourg est malhonnête. Le pays où la recherche a été faite l'a souvent subventionnée. Le stratagème prive la collectivité d'un juste retour financier, réplique la conscience.
- Peut-être, mais nombre de sociétés dans lesquelles tu investis se servent de paradis fiscaux. Tu ne le sais pas, parce que tu ne t'y es jamais attardé. Pas pire que chez bien d'autres, renchérit le malin.
- Oui, mais, cette fois, tu le sais... D'autant que ton investissement est fondé en grande partie sur l'opération fiscale...
Et le bras de fer entre la tentation et l'élévation de se poursuivre. Jusqu'à tout récemment, quand l'administration Obama annonçait soudainement des mesures pour tenter de contrer les phénomènes d'inversion fiscale. Au moment d'écrire ces lignes, Mylan n'avait toujours pas réagi aux conséquences de ces nouvelles mesures sur son projet de fusion avec Abbott.
Plusieurs analystes doutaient que la fusion se matérialise, d'autres parlaient d'une probable concrétisation avec des bénéfices nettement moindres, et d'autres, enfin, de bénéfices moindres, mais peut-être pas si moindres.En conclusion
La situation demeure intéressante. À 14 fois le bénéfice de 2014, aucune synergie de la fusion ne semble anticipé par le marché. Si l'affaire ne se conclut pas, le potentiel de recul du titre semble contenu. (Le titre est d'ailleurs resté stable le jour de l'annonce des mesures Obama.) Si elle se conclut, il y a un certain potentiel de hausse.
Quant à nous, la conscience l'emporte. Qui s'y frotte s'y pique, et une piqûre suffit...
En conservant le multiple actuel - 14 fois le bénéfice prévu -, on obtient un titre qui pourrait gagner 75 % en moins de quatre ans, à plus de 80 $ US. Une véritable tentation du diable !