Comme à chaque année, la plupart des journalistes présents à l'assemblée de Power Corp. se demandaient en entrant s'ils auraient à tout le moins une petite histoire. Au sortir, ils ne savaient plus par laquelle commencer!
Pendant des années, les frères Paul et André Desmarais avaient habitué le public à une grande discrétion. Ils marchaient ainsi dans les pas de leur père, Paul Desmarais, qui aimait bien les médias, mais à condition de ne pas se retrouver dedans.
Est-ce le départ du père? Nul ne peut conclure avec certitude. Mais, jeudi, les fils Desmarais sont réellement sortis de la réserve qu'ils semblaient s'imposer. Et l'on a enfin pu découvrir un peu mieux leur personnalité. Les opinions sont nombreuses et tranchées. Elles ne manqueront pas de faire réagir dans plusieurs milieux. Il est fort intéressant de les voir s'amener au débat public.
Récit commenté d'une assemblée inattendue.
Le vrai futur du Québec
On les savait fédéralistes, une question d'un confère sur l'avenir économique du Québec a donné lieu à une véritable profession de foi.
André Desmarais, particulièrement, a longuement insisté sur les résultats de la dernière élection provinciale. "J'ai l'impression que le Québec a finalement décidé de tourner la page et aller vers un vrai futur", a-t-il indiqué en précisant que la province venait probablement de répondre une fois pour toute qu'elle ne voulait plus parler de référendum.
Monsieur Desmarais estime que l'on a passé 40 ans à discuter de la chose et que cette réponse permettra désormais au Québec de revenir sur le chemin de la croissance et d'atteindre un poids économique qui soit identique à son poids démographique, si ce n'est supérieur.
Il est optimiste pour le Québec en ce qu'il "est créatif, intelligent et a un bon niveau d'éducation". À ses yeux, il regagnera lentement la confiance du Canada anglais, "qui commençait à se demander ce qu'il voulait, lui qui recevait énormément de péréquation".
Paul Desmarais a de son côté estimé qu'un important voile d'incertitude venait d'être levé et que les capitaux reviendraient à la longue, au fur et à mesure que la confiance serait rebâtie.
Messieurs Desmarais ont aussi parlé de la Commission Charbonneau, des carrés rouges et de la Charte comme des éléments qui avaient nuit à l'image du Québec et qu'il fallait faire oublier, mais la discussion est sans cesse revenue sur la question référendaire.
Quelque chose nous dit que cette question du "vrai futur" fera parler.
Les journaux papiers sont morts
La discussion a aussi beaucoup porté en conférence de presse sur l'avenir des journaux et le nouveau produit numérique de Gesca: La Presse +.
Bien qu'ils ne veulent pas tout de suite vendre la peau de l'ours, les frères Desmarais sont apparus très optimistes pour le produit. Pour la première fois, on les a entendu confirmer que La Presse papier allait disparaître.
Quand?
Ils ne peuvent le dire encore. Il se pourrait, a-t-on cru comprendre, que la disparition ne soit que graduelle, et en premier lieu sur certains jours de semaines.
La Presse papier étant appelée à disparaître, à titre d'ancien du Soleil de Québec, on n'a pu s'empêcher de demander comment ils entrevoyaient l'avenir de leurs quotidiens régionaux. La réponse d'André Desmarais nous a fait sourciller: "Ils vont disparaître", a-t-il simplement laissé tomber. Puis, il a précisé que des discussions sérieuses devraient avoir lieu avec ces quotidiens pour tenter de trouver une façon de les intégrer aux tablettes ou une façon de survivre à long terme. Il a parlé de l'importance de différentes sources d'information pour une société, sans aller plus loin.
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On est ressorti assez déprimé face au sort qui semble guetter notre alma mater. Et en souhaitant que Power ne baisse pas prématurément les bras.
La rentabilité future de La Presse + semble surtout reposer sur le marché de la publicité nationale. Or, les journaux régionaux, comme Le Soleil, sont beaucoup dépendants de la publicité locale. Dans l'état actuel des choses, avec les coûts de fabrication de la publicité de la Presse +, il n'est pas clair que la formule tablette puisse très bien fonctionner sur le marché local. Du moins avant quelques années. Si on cesse de soutenir convenablement le papier, il n'est pas sûr que la marque sera plus tard assez forte pour qu'on puisse la relever même sur tablette.
À la défense de Marc Bibeau
En cours d'assemblée, un représentant du Médaq s'est interrogé sur l'élection, la veille, de Marc Bibeau au conseil d'administration de la Financière Power. Monsieur Bibeau est l'ancien argentier du Parti libéral du Québec et a été interrogé par l'UPAC.
La question a vivement fait réagir Paul Desmarais qui a soutenu que le simple fait de la poser était presque diffamatoire.
En conférence de presse, il s'est dit irrité par le sujet, "parce qu'on assiste de plus en plus à des chasses aux sorcières". Il a rappelé qu'aucune accusation n'avait été portée contre monsieur Bibeau et qu'il avait produit des déclarations. Il a aussi défendu son droit à collecter légalement de l'argent pour des partis politiques.
"Il faut faire la différence entre une police qui enquête, et une qui porte des accusations. Je trouve ça malsain pour une société que l'on ne fasse pas cette différence", a-t-il dit.
Paul Desmarais a soutenu que monsieur Bibeau était un excellent administrateur et souligné qu'il avait récolté le deuxième pointage le plus élevé lors de l'élection de la veille.
D'accord avec monsieur Desmarais: il y a parfois de l'exagération dans la société et dans les médias. Pas prêt cependant à tout de suite lui lever notre chapeau pour son courage. Attendons que la SQ ait signalé la fin de ses enquêtes.
Les actionnaires ne devraient pas être consultés sur les salaires
Les actionnaires ne devraient pas être consultés sur les salaires
On parle ici du plus gros morceau de l'assemblée annuelle.
Paul Desmarais estime que la gouvernance d'entreprise souffre d'une inflation de règles et de directives qui absorbent le temps et l'énergie des conseils. Il soutient que les administrateurs sont aujourd'hui obligés de consacrer le plus clair de leur temps à gérer des procédures pour une soi-disant bonne gouvernance. Cela ne leur laisse que peu de temps pour traiter des enjeux critiques comme la stratégie à long terme, l'évolution des besoins des clients et le contexte concurrentiel changeant.
Monsieur Desmarais s'est notamment dit contre les votes consultatifs des actionnaires en matière de rémunération. Il a estimé que les administrateurs avaient tout en main pour décider d'une rémunération adéquate.
Essentiellement, il a demandé à ce que les autorités rétablissent le rôle prépondérant de l'administrateur, en insistant sur le fait qu'il a déjà un devoir de fiduciaire pour l'ensemble des actionnaires. Il est important, a-t-il dit, de rebâtir la confiance envers les administrateurs.
-Vous semblez être en complète opposition avec Warren Buffett, lui a-t-on fait remarquer.
Il a rétorqué qu'il connaissait Buffett et son comparse Charlie Munger et était convaincu qu'ils étaient d'accord avec lui sur la nécessité de rebâtir la confiance envers les administrateurs et sur l'excès des demandes en matière de gouvernance.
Sur ces points, sans doute. Sur celui de la rémunération, certainement pas. Dix années à fréquenter les assemblées de Berkshire Hathaway nous ont permis de constater que Buffett avait pas mal perdu espoir dans les salaires qui sont versés aux hauts-dirigeants. À l'une d'entre elle, il avait notamment fait remarquer que les conseils sur lesquels il siégeait se gardaient bien de le proposer au comité de rémunération. À une autre, il avait dénoncé les consultants en rémunération qui avaient vite compris qui mettait le beurre sur leur pain.
Buffett s'est en outre récemment abstenu de voter sur la rémunération des dirigeants de Coca Cola, parce qu'il la jugeait trop élevée.
La cimenterie de Port-Daniel
Un mot enfin sur le projet de cimenterie de Port-Daniel, qui a fait couler beaucoup d'encre dans les médias, et où la famille Desmarais (actionnaire indirect du cimentier Lafarge) et la famille Bombardier-Beaudoin (actionnaire principal de Port-Daniel) ont souvent été réputées être en intense rivalité.
Jamais la discussion de Port-Daniel n'a été abordée au conseil, a dit Paul Desmarais. Le plus loufoque est qu'il s'est finalement décidé à poser quelques questions à Lafarge sur l'affaire parce que tout le monde en parlait dans les médias.
Le président de Power a dit être un ami de la famille Bombardier-Beaudoin, mais soutenir la position de Lafarge, dont Power est actionnaire.
Il a souhaité bonne chance à Laurent Beaudoin, en disant croire que ce ne serait pas facile. L'industrie du ciment au Québec ne fonctionne qu'à 60% de sa capacité, et exporter du ciment aux États-Unis ne sera probablement pas aussi facile qu'on le croit.
Quelqu'un devra céder quelque part, a-t-il estimé.
La conférence de presse a finalement pris fin, les frères Desmarais devant aller à un conseil d'administration.
"Je pense qu'on vous a donné pas mal de matériel", a lancé en souriant, André Desmarais.
En effet!
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