«Attention mesdames et messieurs, veuillez boucler votre ceinture. Nous nous apprêtons à traverser une zone de fortes turbulences où les transporteurs Air Canada, WestJet, Chorus et Porter semblent sur le point d'entrer en collision...»
Les prochains trimestres s'annoncent mouvementés dans le ciel canadien. Après l'affrontement du triangle de l'Est (Toronto-Montréal-Ottawa), trois nouvelles batailles se préparent.
Qui a plus à gagner ? Qui a plus à perdre ? Voyons-y de plus près.
Le champ de bataille actuel
Depuis quelques années, la guerre est déclarée entre Air Canada, WestJet et Porter. Le conflit a cependant pris de l'ampleur l'an dernier après que Porter se soit solidement installée à l'aéroport Billy-Bishop et utilisé l'île de Toronto pour accentuer ses attaques sur Montréal et Ottawa. En mars 2010, elle faisait notamment passer le nombre de ses dessertes quotidiennes Montréal-Toronto de 14 à 23, portant ainsi un sévère coup à l'achalandage d'Air Canada à l'aéroport Pearson.
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La réplique du transporteur unifolié n'allait pas tarder. En mai 2011, après une alliance avec le transporteur régional Sky Regional, Air Canada profitait de la fin de l'exclusivité consentie à Porter sur l'île de Toronto pour y lancer 15 vols aller-retour Montréal-Toronto, tout en conservant les dessertes qu'elle avait auparavant sur Pearson.
De crainte d'être isolée, WestJet augmentait au même moment le nombre de ses dessertes Toronto-Montréal et Toronto-Ottawa (à partir de Pearson), en les assortissant de promotions.
Résultat de l'affrontement, la capacité sur la route Toronto-Montréal avait augmenté de plus de 30 % et les prix, chuté de façon sentie, calculait en juin l'analyste Cameron Doerksen, de Financière Banque Nationale.
Pas nécessairement la fin du monde pour chacun des acteurs, alors que le triangle de l'Est ne représente que 6,3 % des départs totaux d'Air Canada et 7,9 % de ceux de WestJet.
Voilà cependant que d'autres engagements se profilent à l'horizon.
2012 : la bataille Toronto-New York
Le prochain affrontement semble se dessiner sur la liaison Toronto-New York, la route transfrontalière la plus achalandée.
À la fin de 2011, WestJet a obtenu les droits pour huit vols aller-retour à LaGuardia et doit amorcer ses dessertes en juin. Il y a quelques semaines, Air Canada a répliqué en annonçant des améliorations à ses heures de desserte et a ajouté trois vols sur JFK (désormais 23 vols sur les aéroports de New York). Porter a de son côté annoncé l'addition de deux vols entre l'île de Toronto et Newark, ce qui porte son total quotidien à 13.
Déjà, les transporteurs doivent batailler ferme avec Delta, American et United, qui offrent aussi des liaisons Toronto-New York (24 vols combinés).
Second engagement: odeur de soufre sur le sud et l'Europe
Avant même d'avoir terminé les discussions avec ses employés, Air Canada confirmait récemment qu'elle entendait aller de l'avant en lançant un nouveau transporteur au rabais.
Une nouvelle qui n'est pas sans conséquence pour Chorus Aviations, le transporteur régional d'Air Canada (sous l'enseigne Jazz).
Sans être dévastateur à court terme, le projet risque de faire souffrir le transporteur régional à plus longue échéance. L'entente entre les deux sociétés prévoit en effet un plancher garanti d'heures de vol en faveur de Chorus, mais elle prendra fin en 2020.
Dans l'intérim, ce sont WestJet et le voyagiste Transat A.T. qui devraient être les plus malmenés. Air Canada entend en effet utiliser une flotte de 50 Airbus 319 et Boeing 767 pour desservir à plus faibles coûts les destinations soleil et l'Europe.
Les appareils devraient provenir de la flotte d'Air Canada, mais la façon dont on pourra en diminuer les coûts n'est pas tout à fait claire. RBC Marchés des Capitaux note que toutes les options sont sur la table et qu'il ne faudrait pas exclure la création d'une société offshore, calquée sur le modèle Jetstar (une filiale de Qantas), qui permettrait d'aller de l'avant sans l'approbation des syndicats de l'entreprise.
Plus de détails devraient bientôt être communiqués sur le projet, mais on entend déjà les préparatifs de combat.
La plus grande Bataille
La plus grande Bataille
C'est dans l'Ouest que s'ourdit actuellement le plus important plan de guerre des dernières années. Au beau milieu du projet d'expansion de sa flotte de 737 (qui pourrait porter le nombre d'appareils de 97 à 135 en 2018), WestJet se prépare à attaquer le marché des dessertes régionales où se bagarrent actuellement Air Canada (Chorus) et Porter.
Ses 737 sont trop gros pour assurer économiquement la desserte de routes moins fréquentées. C'est pourquoi elle entend lancer une nouvelle filiale, dotée d'une quarantaine de Q400 de Bombardier ou d'appareils ATR.
La société évalue le marché régional canadien et transfrontalier à près de deux milliards de dollars par année (G$). Une avenue de croissance significative, dit la Financière Banque Nationale, si elle peut aller chercher une part de marché de 20 à 30 %. Les revenus de WestJet atteignent actuellement près de 3 G$ par année. La Financière estime que le nouveau service permettrait en outre de faire coup double en augmentant le taux d'occupation des 737.
Beaucoup d'observateurs spéculent que le premier déploiement devrait être confiné dans l'Ouest, afin de couper l'herbe sous le pied à une éventuelle expansion de Porter et profiter de plus grandes synergies avec sa flotte principale.
Quoi qu'il en soit, les prix de plusieurs destinations devraient diminuer.
Qui perd, qui gagne ?
Air Canada semble celle qui a le plus à perdre des affrontements qui se dessinent. Son projet de transporteur au rabais devrait l'aider, mais il risque de s'écouler quelques années avant que l'état des résultats n'en ressente les effets bénéfiques. Pendant ce temps, son bilan affiche toujours une lourde dette et traîne d'importantes obligations envers les régimes de retraite. Sa structure de coûts est aussi nettement plus élevée que celle de WestJet (d'au moins 20 %, selon la plupart des évaluations). Son agilité est restreinte.
Le gain n'est pas assuré non plus pour WestJet. Elle a un solide bilan et des liquidités de 1,3 G$, mais il pourrait lui en coûter jusqu'à 1 G$ d'investissements en capital pour démarrer son service. Elle n'exploitait jusqu'à maintenant qu'une flotte composée d'avions 737. L'arrivée de nouveaux appareils lui coûtera plus cher d'entretien et la synchronisation de leurs vols avec ses plus gros porteurs ne sera pas non plus sans coûts. Même si elle est moins agile, Air Canada ne se laissera pas facilement dépouiller de son marché.
Quant à Chorus, elle ne sera pas immédiatement perdante, en raison de ses garanties de dessertes. Mais elle a beaucoup à perdre à plus long terme.
Un acteur sur qui miser ?
Ce n'est pas parce que le ciel est sombre qu'il n'y a aucun potentiel. Les titres peuvent en effet refléter, dans leurs cours, un scénario plus pessimiste encore que ne l'est la réalité.
Ainsi, malgré l'intensification de la concurrence, Canaccord Genuity voit le titre d'Air Canada potentiellement dépasser les 5 $. Elle anticipe que le transporteur dégagera d'importantes liquidités, lesquelles devraient lui permettre de réduire sa dette. L'optimisme n'est cependant pas partagé par tous, alors que six analystes sont à «conserver» (et huit à «achat»).
WestJet semble plus attrayante. C'est elle qui mène la plus grande offensive. Et, malgré les risques, ses coûts demeurent les plus faibles du marché. De la valeur pourrait être créée ici. Les analystes sont plus optimistes : huit suggèrent l'achat du titre et deux recommandent de le conserver.
Notre avis
Historiquement, l'investissement dans les lignes aériennes a rarement été gagnant. Le nombre de passages sous la protection de la loi sur les faillites aux États-Unis est assez impressionnant. Depuis le début des années 1980, plus de 45 sociétés aériennes y ont déclaré faillite.
WestJet calque son modèle sur celui de Southwest, l'une des sociétés les plus performantes de l'histoire. Mais même Southwest est aujourd'hui aux prises avec des problèmes de contrôle des coûts. Elle vient d'ailleurs de prévenir que son prochain trimestre sera déficitaire.
Prudence avant l'embarquement. Dans le contexte des batailles à venir et de l'incertitude économique, le secteur n'est certainement pas pour ceux qui aiment voyager... avec la ceinture de sécurité débouclée.
Dans le contexte des batailles à venir et de l'incertitude économique, le secteur aérien n'est certainement pas pour ceux qui aiment voyager avec la ceinture de sécurité débouclée.
FRANÇOIS.POULIOT@tc.tc