Où s'en va Jean Coutu? Monsieur Coutu a lui-même posé la question, mardi, lors de l'assemblée des actionnaires. En exposant sommairement son plan de match, il en a curieusement soulevé une autre dans notre esprit: existerait-il un agenda caché chez Jean Coutu?
Le président du conseil a sommairement résumé ainsi le plan de match.
-Au Québec. Prendre de l'expansion avec de grandes et petites surfaces là ou le marché le permet. Tabler sur le succès du fabricant de génériques Pro-Doc en tentant d'élargir l'offre de services avec des acquisitions dans le secteur des soins orthopédiques (bas chirurgicaux, prothèses, véhicules triporteurs, etc.). Offrir plus de services à domicile.
-Dans le reste du Canada. Attendre le dénouement de la réforme du médicament en Ontario et voir s'il n'y aurait pas des occasions. Être à l'affût d'acquisitions dans l'Ouest canadien et potentiellement continuer à croître là-bas sous un autre nom.
-Aux États-Unis. Pas un mot.
Un premier mystère
Un premier mystère
Le plan de match est relativement clair pour le Québec et cette idée de diversifier les activités à partir du succès de Pro-Doc est fort intéressante. Quelque chose nous dit que d'ici quelques années, elle donnera des fruits.
La volonté de potentiellement continuer à croître dans l'Ouest est plus surprenante. Longtemps plusieurs ont estimé qu'il serait difficile pour Coutu de croître significativement dans l'Ouest Canadien, faute d'un réseau suffisamment important de pharmacies disponible. Le fait de faire allusion à une croissance possible "sous un autre nom" laisse cependant cette fois entendre que l'on vise assez gros.
En début d'année, l'analyste Perry Caicco, de CIBC Marchés mondiaux, estimait que les réformes dans le secteur de la pharmacie au pays pourraient amener Katz Group, qui détient notamment les pharmacies Rexall, à se départir de ses établissements.
Katz Group compte 1800 établissements, dont approximativement 1000 sont franchisés. Pour les acquérir, Coutu devrait décaisser entre 1,5 et 2 G$ selon l'évaluation de l'analyste. Une assez grosse bouchée à prendre pour la société québécoise dont la valeur boursière atteint actuellement 2,65 G$.
Elle devrait en outre probablement négocier une nouvelle entente avec le distributeur McKesson et pourrait même se retrouver en guerre contre celui-ci pour acquérir le réseau. À moins que McKesson et Jean Coutu ne forment une alliance pour cette acquisition, dit l'analyste.
Est-ce qu'on entrevoit ou ce qui se trame actuellement?
Mystère.
Un second mystère
Un second mystère
Ce n'est là que le premier mystère. Il s'en trouve un second.
Le groupe Jean Coutu a annoncé mardi qu'il souhaitait vendre 10% de sa position dans Rite Aid. À la suite de cette vente, il conserverait toujours plus de 25% du capital-actions.
Pourquoi cette vente?
Il ne faut pas y voir un manque de confiance dans l'avenir de Rite Aid. La vente n'a pour seul but que de financer le programme de rachat d'actions en cours chez Jean Coutu, a expliqué la direction.
Voici néanmoins une autre explication potentielle, qui ne va pas à l'encontre de la première.
Il se trouve un certain nombre d'analystes pour soutenir que Rite Aid risque de ne pas passer à travers la prochaine période de refinancement de sa dette. Sans mentionner de date, Morningstar évalue à 75% la probabilité qu'elle ne parvienne pas à générer suffisamment de flux de trésorerie pour rembourser sa dette. Une date à surveiller: septembre 2012, où doit avoir lieu un important refinancement.
Avec la vente de 10% de ses actions, Jean Coutu est peut-être donc aussi en train d'essayer de sortir en douceur 30 M$ avant une échéance difficile.
C'est dans ce désengagement, bien que très partiel, que réside le deuxième mystère de Jean Coutu. Il vient renforcer les interrogations qui planaient déjà sur ses intentions aux États-Unis. Et, non, il ne s'agit pas d'interrogations quant à un éventuel retrait, mais plutôt quant à un éventuel retour en force.
À l'automne, monsieur Coutu nous avait passablement surpris avec son autobiographie. Alors que l'on croyait l'aventure US terminée, il parlait plutôt, lui, "d'un rendez-vous reporté". Et il concluait:" Nous avons beaucoup appris de cette expérience (Eckerd) et nous comptons bien demeurer vigilant afin qu'elle nous serve tout à la fois de tremplin et de balise lorsque de prochaines possibilités d'expansion en sol américain se présenteront à nous."
Coutu peut difficilement demeurer dans Rite Aid et espérer un "nouveau rendez-vous" aux États-Unis. On voit tout de suite les conflits d'intérêt que cela susciterait, les trois administrateurs du groupe au conseil de l'américaine bénéficiant alors de renseignements privilégiés. C'est pour cela que l'on dit que, bien que très partiel, le projet de vente d'actions annoncé mardi peut amener à penser que Coutu songe à une nouvelle opération. Pourquoi pas un rachat éventuel des anciennes Brooks, ses premières amours aux Etats-Unis, dans le cadre d'une éventuelle vente à l'enchère d'une partie du réseau de Rite Aid pour rembourser de la dette?
L'agenda espéré de Jean Coutu
Que vise réellement Jean Coutu?
Une grosse acquisition canadienne dans l'Ouest? Un retrait de Rite Aid et un éventuel retour aux États-Unis sous une autre forme?
Peut-être rien de tout cela. Mais quelque chose nous dit qu'il existe un agenda espéré plus important que celui exposé. Dont on ne peut évidemment pas nous parler.