Analyse. Malgré les hauts cris de la Saskatchewan, Potash Corp. passera vraisemblablement à des intérêts étrangers.
Ainsi semble en avoir décidé le gouvernement conservateur, quoique sous certaines conditions.
Mauvaise nouvelle?
Oui. Le détail des calculs sur le bénéfice économique net de la transaction pour le Canada n'est pas connu, mais on est à peu près convaincu que l'on n'adhérerait pas à la conclusion. L'exercice est généralement assez subjectif.
Nous sommes plutôt de l'école qui veut qu'il est plus sain qu'une entreprise demeure sous contrôle canadien. Au chapitre des effectifs ici, ça ne garantit rien, mais c'est tout de même plus solide. Et ça garantit à tout le moins le maintient d'un véritable siège social et les emplois de qualité qui l'accompagnent.
La décision du gouvernement de laisser s'accomplir la transaction n'est pas vraiment une surprise. Les Conservateurs suivent simplement le principe de la liberté des capitaux, ou, si on préfère, le "free market capitalism", principe auquel le Québec et le Canada adhèrent depuis longtemps sans trop se poser de questions.
Dans le concret ce principe se traduit ainsi: si l'on ne veut pas que les Américains empêchent par loi nos sociétés de prendre le contrôle de leurs sociétés (et des sociétés comme CGI et Couche-Tard de grandir), on ne peut pas les empêcher de prendre le contrôle des nôtres.
Un bon choix de société?
Il est facile de se perdre dans cette discussion.
L'on entend par exemple régulièrement des participants se courroucer parce que nos ressources naturelles passent sous contrôle étranger. Là n'est pas le problème, car ces ressources demeurent toujours en sol canadien et, ultimement, le gouvernement conserve la possibilité d'agir dans le futur par loi spéciale et de contraindre des entreprises à respecter sa volonté.
Le danger est plutôt dans la perte du savoir faire humain et dans celle des avances scientifiques et technologiques. Laissez passer Research in motion à Motorola, les avancées technologiques et ses secrets seront relayés dans les laboratoires étrangers, et c'est probablement eux qui prendront un jour la place de nos chercheurs. Une fois l'exode survenu, on ne peut pas remédier à cela par loi spéciale. Ce qui est détruit, ne peut être reconstruit.
Revenons à cet argument du "free market capitalism" et qu'il est gagnant pour le Canada de laisser aux étrangers la possibilité de prendre le contrôle de nos entreprises parce que les nôtres peuvent ensuite faire de même.
C'est malheureusement un sophisme, une erreur de raisonnement. Une société de 32 millions d'habitants a en effet beaucoup plus à perdre au jeu du capitalisme sans contrainte, qu'une société de 300 millions d'habitants. La grosse société peut vider assez rapidement les sièges sociaux de sa voisine et s'emparer d'une grande partie de ses avancées intellectuelles et technologiques; l'autre ne le pourra jamais.
Il ne s'agit pas d'empêcher les entreprises étrangères de venir vendre leurs produits ici (le libre échange est maintenu pour les produits et services), ni d'empêcher toutes les acquisitions d'entreprises, il s'agit de limiter la possibilité qu'elles ont de prendre le contrôle de nos plus importantes sociétés, nos fleurons corporatifs.
Étonnant débat
Il est assez étonnant qu'alors que les exemples de prises de contrôle controversées se multiplient ces dernières années, (Potash, Inco, Falconbridge, Stelco, Dofasco, Seagram, Labatt et Alcan), le gouvernement canadien aborde la question sous un tout autre angle.
Voilà que l'on parle maintenant d'ouvrir aux étrangers la possibilité de prendre le contrôle d'entreprises dans le secteur des télécommunications, de la radiodiffusion et du transport aérien.
Il y a d'importants sièges sociaux dans ces secteurs: BCE, Rogers, Telus, Quebecor (des actions multivotantes peuvent un jour changer de main), Air Canada, Westjet, etc.
Voilà des actifs que l'on s'apprête à mettre à risque d'affaiblissement sous prétexte qu'il faut accroître leurs capacités de financement. À ce jour on n'a pourtant entendu personne se plaindre de difficultés à se financer dans son marché intérieur.
Le gouvernement doit vraiment y penser à deux fois avant de diminuer les restrictions sur la propriété étrangère.
Déjà que l'on a amorcé la réflexion à l'envers…