Le marché de l'argent est-il sous l'emprise de manipulateurs ?
C'est la question que l'on se posait à la mi-novembre, sur lesaffaires.com, alors que le prix du métal était à 28 dollars américains ($ US) l'once, en hausse de plus de 50 % par rapport à la saison estivale. Et c'est la question qui se pose avec plus d'acuité encore depuis sa récente envolée à 50 $ US l'once.
La première flambée
Revenons d'abord sur la première flambée, celle de l'automne dernier.
Des poursuites alléguaient que les banques d'affaires JP Morgan Chase (repreneuse de Bear Stearns) et HSBC avaient manipulé le marché ces dernières années pour tenter de garder bas le prix du métal gris.
Des allégations qui s'ajoutaient alors à une déclaration de Bart Chilton, commissaire de la US Commodity Futures Trading Commission, qui disait croire que des manoeuvres frauduleuses avaient eu cours sur le marché.
Ce qu'on en pensait ?
Peu de choses. Si les deux banques tentaient vraiment de manipuler le marché à la baisse, on ne peut pas dire qu'elles avaient très bien réussi. À l'époque (novembre 2010), plusieurs s'entendaient cependant pour dire que le nombre de positions à découvert sur le marché de l'argent avait été élevé au cours des derniers mois.
D'où notre théorie voulant que l'on venait plutôt de récolter les résultats d'une autre manipulation. Celle d'un dénommé... Ben Bernanke.
C'était le début de l'assouplissement monétaire quantitatif. En imprimant plus d'argent, la Fed se trouvait à faire grimper la valeur d'actifs comme le métal argent. Prévue depuis quelque temps, l'opération n'était sûrement pas de nature à laisser un investisseur à découvert sur ses positions (plus le prix du métal grimpe, plus il perd).
Notre constat était donc que l'on avait assisté ces derniers mois à des opérations de couverture qui dopaient la demande de métal. Des opérations vraisemblablement soutenues par d'autres ordres d'achat de spéculateurs croyant que l'autre complot, celui pour maintenir les prix bas, était en train d'échouer.
" Mieux vaut être prudent. Une fois les rachats effectués, la demande risque en effet d'être beaucoup moins forte ", était alors notre conclusion.
La deuxième flambée
La deuxième flamblée
Mieux vaut être prudent, disions-nous.
Hé, hé, un autre coup dur pour le prophète. Si vous avez suivi son opinion, vous êtes passé à côté d'un doublé... Fin avril, le prix du métal atteignait en effet les 50 $ US l'once.
Depuis, c'est la débandade, alors qu'il s'échange autour de 35 $ US.
Que s'est-il passé pour que le prix grimpe à 50 $ US ? Nouvelle manipulation ?
Non. Simple effet des spéculateurs, qui ont transformé le marché en bulle.
Oui, oui, on sait. Des craintes persistent quant aux finances publiques de plusieurs pays, il y a trop d'argent dans le système, l'inflation est au détour, le dollar américain a faibli, etc. Mais voilà, l'or est la valeur qui doit théoriquement varier le plus dans pareil contexte. Pendant que l'argent doublait presque en valeur (100 %), le métal jaune n'avançait, lui, que de 11,5 %. Une désynchronisation qui repousse toutes les tentatives de justification.
Temps de jouer le métal, tout de même ?
Certains le croient. CIBC Marchés mondiaux voit par exemple le prix moyen de l'argent terminer l'année 2011 à 45 $ US l'once et passer à 50 $ US l'once en 2012.
La firme d'investissement prévoit que le prix sera sous pression pendant les mois d'été, mais qu'il devrait rebondir à l'automne, à la faveur d'une tendance saisonnière.
Sur la base d'un prix à long terme à 30 $ US l'once, elle aime bien les titres de Pan American (PAAS, 33,63 $ US), Minefinders (MFN, 13,31 $ US), Fortuna (FVI, 5,17 $ CA) et Silver Standard (SSRI, 30,93 $ US).
On ne gagerait cependant pas la maison là-dessus.
Morale de l'histoire ?
Morale de l'histoire?
Ce qui se passe sur le marché de l'argent ne devrait pas être pris à la légère par les régulateurs. La situation permet de se demander s'il ne faudrait pas éliminer les FNB, ces fameux fonds qui acquièrent du métal et le convertissent en unités que peuvent acheter les investisseurs.
Les données du Silver Institute révèlent que la demande du métal à des fins d'investissement est tombée d'une cinquantaine de millions d'onces au milieu des années 2000 à 12,5 millions en 2007, puis a rebondi à des niveaux records de 120 et de 178 millions d'onces en 2009 et 2010.
Une demande supplémentaire de 130 à 160 millions d'onces, soit de 15 à 18 % d'un marché qui, traditionnellement, est d'environ 850 ou 900 millions d'onces semble suffisant pour créer de grandes perturbations de prix.
Or, l'argent est un métal utilisé par plusieurs industries, et de trop importantes hausses de prix sont susceptibles d'entraîner des problèmes dans quelques entreprises et secteurs. Alors que les FNB commencent à s'étendre à différents marchés comme ceux du cuivre et de l'aluminium, on peut se demander s'il n'y aurait pas lieu de mettre le secteur des commodités à l'abri d'éventuelles bulles dès maintenant.