(Analyse) - Jeté un œil à l’autobiographie de Jean Coutu? Toujours aussi sûr que l'aventure américaine est terminée?
L'ouvrage est intéressant. Un incontournable.
Petite confession, on a commencé par la fin! Bien pressé d'aller sur l'acquisition d'Eckerd et la grande aventure américaine. Pour voir un peu comment tout ça avait pu se jouer en coulisses.
Sur ce pan d'histoire, ceux qui ont suivi la saga américaine de Jean Coutu dans les journaux n'apprendront malheureusement pas beaucoup plus que ce qu'ils savaient déjà. Un financement qui prit du temps à être mis en place, des employés américains qui se mirent à craindre l'incertitude et passèrent à la concurrence. Un siège social en Floride que l’on tenta de consolider trop rapidement au Rhode Island. Peu d'employés talentueux qui acceptèrent de déménager. Les ressources humaines nécessaires à une fusion harmonieuse entre Brooks et Eckerd manquèrent. L'intégration et les mesures de restructuration ratèrent.
L'élément étonnant
Peu de neuf donc, sauf…
À la fin du chapitre se trouve un élément assez surprenant. Alors qu'à peu près tout le monde pensait que l'aventure US était terminée, Jean Coutu n'apparaît pas du tout de cet avis. Il parle plutôt "d'un rendez-vous reporté". Et il conclut: " Nous avons beaucoup appris de cette expérience et nous comptons bien demeurer vigilants afin qu'elle nous serve tout à la fois de tremplin et de balise lorsque de prochaines possibilités d'expansion en sol américain se présenteront à nous."
Qu'est-ce à dire?
À la suite de la vente de Eckerd, Jean Coutu détient toujours un intérêt de 28,4% dans Rite Aid aux États-Unis.
On voit mal comment l'entreprise pourrait faire un nouveau bond chez l'Oncle Sam sans se départir de cette participation. Elle peut en effet difficilement aller acheter un autre joueur sans concurrencer son propre investissement. Coutu a quatre administrateurs au conseil de Rite Aid et bénéficie de ce fait d'informations stratégiques qui poseraient quelques difficultés au plan du devoir de loyauté et des règles de gouvernance.
En fait, on s'est plutôt demandé si monsieur Coutu ne doutait pas de la viabilité de Rite Aid et ne voyait pas Jean Coutu éventuellement racheter une partie du réseau (les anciennes Brooks?) dans des circonstances où les devoirs de loyauté n'auraient plus d'application.
Bilan chancelant chez Rite Aid
Il faut en effet savoir que les affaires ne vont toujours pas très bien chez Rite Aid.
Au dernier trimestre, la société américaine rapporte un bénéfice avant intérêts de 12 M$ US. Plutôt faible quand on sait que les charges d'intérêts trimestrielles s'élèvent à 140 M$ US…
La compagnie a encore du temps devant elle. À la faveur d'un marché obligataire exceptionnellement favorable aux entreprises, elle a réussi, il y a quelque temps, à refinancer une bonne partie de sa dette. Si bien que la prochaine échéance importante n'est qu'en septembre 2012.
Mais un certain nombre d'analystes doutent qu'à cette date le troisième pharmacien aux États-Unis puisse passer à travers, ou compte à tout le moins autant d'établissements qu'aujourd'hui.
Morningstar estime en outre qu'avec des dépenses en capital de 250 M$ par année, Rite Aid continue de sous-investir dans ses établissements. Il faudrait au moins 100 M$ de plus juste pour prévenir leur détérioration.
Au même moment, la concurrence devient de plus en plus féroce, alors que Walmart vient d'introduire une prescription générique à 4$ US et que Walgreen et CVS y vont de prescriptions à 90 jours.
En fait, la maison évalue à 75% les probabilités que Rite Aid ne parvienne pas à générer suffisamment de flux de trésorerie pour repayer sa dette, et qu'il ne reste plus d'argent pour les actionnaires.
Une façon de dire qu'il y a au moins 75% de chances que Rite Aid ne soit forcée de partiellement ou totalement vendre son réseau de 4 800 établissements.
Financièrement, Jean Coutu est bien positionnée pour participer à une nouvelle course. Le groupe n'a que très peu de dette. Rite Aid lui a payé 2,3 G US en argent lors de l'acquisition d'Eckerd, ce qui a permis le remboursement de l’emprunt initial.
En plus, elle possède maintenant Pro Doc, ce manufacturier générique de Laval, dont les produits, après être rentrés dans le réseau québécois (*) pourrait alors peut-être prendre le chemin d'un nouveau réseau américain, donnant ainsi un effet de levier que d'autres n'ont pas (c'est plus difficile d'avoir le même plan de match avec Rite Aid, parce que Coutu n’est pas en position de contrôle).
Assurément ?
Assurément le scénario que monsieur Coutu voit se déployer?
Certainement pas. Nettement cependant un scénario que l'on n'écarterait plus.
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* Les pharmaciens du Groupe Jean Coutu ne sont pas tenus d'acheter les produits de Pro Doc.