C'est une discussion fort importante que vient d'engager le ministre Tony Clement. Faut-il ouvrir le secteur de la télécommunication aux étrangers? Et, dans un deuxième temps, accorder de nouveaux privilèges dans le sans-fil à des entreprises comme Quebecor?
Le ministre fédéral de l'industrie a indiqué mardi qu'il allait décider au printemps de la politique du gouvernement quant à l'ouverture du secteur des télécommunications aux étrangers. Et ensuite trancher sur les conditions de l'octroi d'un nouveau spectre dans la téléphonie sans fil pour 2012.
Une chose à la fois.
L'ouverture aux étrangers
Une difficile décision pour le gouvernement, qui devrait faire des vagues.
La loi empêche actuellement une société étrangère de détenir plus de 20% de l'une de nos sociétés de téléphonie et plus du tiers de sa société mère (ce qui veut dire un intérêt maximal de 46,7%).
Les partisans d'une ouverture à la propriété étrangère font notamment valoir que seuls le Canada, le Mexique et la Corée du sud ont des restrictions quant à la propriété de leurs infrastructures de télécommunication chez les 30 membres de l'OCDE.
Ils estiment en outre que plus de compétition stimulera l'innovation et fera baisser les prix au Canada.
Nous sommes en désaccord. Notre position un peu plus loin, en conclusion.
La guerre entre Quebecor et les gros joueurs
Quelle que soit la position du gouvernement sur la propriété étrangère, il devra ensuite trancher sur les conditions d'octroi d'un nouveau spectre.
Ce nouveau spectre, dans la bande 700 MHz, est assez convoité. Il permettra en effet une propagation supérieure dans les édifices et sur les longues distances. Un autre octroi, dans la bande 2500 MHz, devrait avoir lieu plus tard.
Les encans à venir ne sont pas sans causer bien des remous.
Le 10 novembre, Pierre Karl Péladeau y allait d'une lettre ouverte dans le National Post titrée: "Ne laissez pas les acteurs de l'oligopole miser sans entrave".
Essentiellement M. Péladeau fait l'éloge de l'ouverture du sans-fil à une plus grande concurrence en vantant les baisses de prix obtenues, note qu'elle a amené une forte innovation technologique (notamment avec Bell et Telus qui ont immédiatement décidé d'investir dans un réseau 3G), et qu'elle a créé des milliers d'emplois bien payés.
Il soutient que tout cela aurait été impossible si, en 2008, le gouvernement n'avait pas favorisé l'entrée des nouveaux acteurs dans le sans fil, en leur réservant par exemple 40% du nouveau spectre mis à l'encan et en encourageant les joueurs actuels à partager leurs tours et conclure des ententes d'itinérance.
Tous les avantages obtenus, dit-il, pourraient maintenant être mis en péril alors que les acteurs de l'oligopole (ci-nommé, BCE, Rogers et Telus) demandent qu'il n'y ait pas de conditions particulières pour l'encan du 700 et du 2500 MHz.
M. Péladeau estime que les grands joueurs contrôlent déjà une proportion disproportionnée du spectre. Leur permettre de miser dans un marché ouvert ne ferait alors que déboucher sur une plus grande concentration de spectre entre leurs mains et leur donnerait plus de pouvoir sur le marché.
La réplique
La réplique n'a pas tardé à venir. Dans une lettre ouverte au Post, le vice-président affaires réglementaires et gouvernementales de Telus, Michael Hennessy rétorque que "les barons du câble n'ont pas besoin de protection".
Il estime que Quebecor ne cherche qu'à obtenir des conditions favorables pour payer moins cher son spectre que les autres joueurs.
M. Hennessy fait notamment valoir que les sociétés de câble sont suffisamment nanties. À titre d'exemple, dans les derniers huit ans, le tarif de base du câble a en moyenne grimpé deux fois plus rapidement que l'indice des prix à la consommation.
Si Shaw, ajoute-t-il, a les moyens de payer 2G $ pour acheter Canwest et des contenus, elle a aussi suffisamment d'argent pour payer son spectre comme les autres.
En outre, conclut le v-p, lorsque Telus investit 2 G$ pour amener Optik TV (la fibre optique jusqu'à la maison) et concurrencer le câble, elle ne bénéficie d'aucun avantage.
QUE PENSER DE TOUT CELA
Le contrôle étranger
Sur un feu vert au contrôle étranger de nos sociétés, nous sommes contre.
Pareil geste mettrait à risque les sièges sociaux de trop d'acteurs canadiens. BCE, Rogers, Telus, Shaw et Quebecor risqueraient de passer en des mains étrangères. Il s'agit d'éléments structurants importants pour l'économie du Québec et du Canada.
Il est vrai que la présence francophone chez BCE est diluée, mais elle risquerait de le devenir encore plus une fois dans les mains de Verizon.
Il est aussi vrai que M. Péladeau a des actions multivotantes avec Quebecor, mais ça ne change rien. Elles sont transmissibles à d'autres. Et on ne sait si un jeu de fusion subséquent ne réduirait pas considérablement l'influence québécoise.
Il est en outre douteux que l'arrivée d'autres acteurs ne vienne accentuer les baisses de prix et augmenter l'innovation. Le secteur est depuis 2008 assez vigoureux sous ces aspects.
Nos sociétés n'ont pendant ce temps pas l'échelle nécessaire pour concurrencer à l'étranger. Le bénéfice de l'ouverture ne leur permettrait pas davantage de prendre de l'expansion au dehors.
Elles ne peuvent en fait être que des proies. Alors que nous ne gagnerions pas plus en innovation et en prix, nous perdrions des emplois de qualité afin que puissent être plus rapidement récupérés les importants emprunts nécessaires à l'acquisition de nos fleurons.
Un traitement favorable à Quebecor
Pour ce qui est d'un traitement favorable aux nouveaux arrivants et à Quebecor, Telus a un bon point.
Les barons du câble sont suffisamment nantis et ne devraient plus bénéficier d'avantages financiers. Il semble cependant y avoir un quiproquo dans cette bataille. Quebecor nous indiquait hier ne pas du tout rechercher un tarif avantageux dans l'encan à venir, mais plutôt un plafond quant à la quantité de spectre pouvant être détenue. La société dit vouloir éviter que les grands joueurs n'en achète plus que nécessaire afin de priver les plus petits.
Si telle n'est finalement que la question en jeu, elle ne devrait pas tellement causer problème aux grands joueurs. On attendra cependant de voir la position de Quebecor énoncée dans son détail avant de conclure.
Dans l'intérim, évitons cependant d'abaisser le pont-levis pour laisser la forteresse aux étrangers. Personne n'y gagnerait, sauf eux.