Le gouvernement du Québec étudie une proposition de l'Association québécoise des indépendants du pétrole qui suggère d'instaurer un prix plafond sur l'essence vendue dans la province. Il n'est pas sûr que l'idée soit formidable.
L'AQIP propose de garantir aux détaillants d'essence une marge bénéficiaire minimale de 0,03$ le litre d'essence qui serait établie à chaque jour. Il n'y a actuellement aucune marge garantie au détaillant. Celui-ci ne peut vendre sous le prix qu'il paie à la rampe de chargement (plus le transport et les taxes). Il peut cependant demander à la Régie de l'énergie d'ordonner une marge de 0,03$ le litre pour une région donnée lorsqu'une guerre de prix perdure trop longtemps.
En contrepartie d'une marge minimale garantie, l'organisme suggère l'établissement d'un prix maximal de vente qui serait de 0,03$ plus élevé (0,06$ de plus en fait que le prix payé à la rampe de chargement).
Ces chiffres sont pour la région de Montréal. Pour le centre du Québec et la capitale, la proposition parle d'une marge garantie de 0,04$ et maximale de 0,07$. Dans les régions plus éloignées, comme au Saguenay, les marges proposées sont respectivement de 0,05$ et 0,08$.
Pourquoi une telle proposition
L'association indique que sa proposition vise à calmer la grogne des automobilistes qui voient parfois les prix de l'essence subitement bondir de 0,10$ le litre en quelques heures. Elle explique que ces bonds proviennent souvent du fait de concurrents qui abaissent pendant longtemps les prix à des niveaux ridiculement bas et insoutenables.
Tout en permettant de lisser les écarts de prix, le nouveau régime permettrait d'assurer une meilleure rentabilité aux indépendants, et de garantir que le Québec maintienne une saine concurrence à la pompe.
État de situation
État de situation
Une étude de MJ Ervin soutient que c'est au Québec que la marge bénéficiaire des détaillants d'essence est la plus faible au pays. Ainsi, en 2010, elle était de 5,3 cents à Montréal, alors qu'elle était à 7 cents à Toronto et à 8,2 cents à Vancouver.
En excluant les taxes, c'est aussi au Québec que l'on paie l'essence le moins cher. En 2010, le prix moyen ici a été de 66,6 cents, alors qu'il s'est élevé à 70,8 cents dans l'Ouest, 68,5 cents en Ontario et 68,8 cents dans l'Atlantique.
Aux yeux de l'Association, les écarts favorables au Québec s'expliquent par la présence des indépendants. D'importantes guerres de prix sont survenues il y a quelques années à Vancouver et Toronto, qui ont fait disparaitre nombre d'indépendants. Ces villes récoltent aujourd'hui le fruit de ces disparitions et de la factice concurrence des pétrolières intégrées.
Toujours selon l'organisme, outre qu'elle ferait probablement augmenter les prix à long terme à l'étape de la distribution, la disparition des indépendants au Québec les ferait aussi peut-être augmenter à l'étape de la livraison après raffinage. Un importateur indépendant introduit en effet de la compétition sur le marché québécois.
Faut-il suivre la proposition des indépendants?
On n'est pas très sûr que ce serait une bonne chose.
L'AQIP estime que le "break even" des stations de Montréal et Québec est respectivement à 4,9 cents et 6,2 cents le litre (la différence s'explique par une question de volumes). Vous voyez bien le risque pour la région de Québec notamment: si le "break even" est à 6,2 cents, il est à craindre que les détaillants auront tendance à tous aller au prix maximum (7 cents) plutôt qu'à se livrer une guerre de prix. À Montréal, le point d'équilibre est un peu plus éloigné, mais pas beaucoup (4,9 cents contre 6 cents).
Dans l'Atlantique, où existent des prix plafonds, le phénomène ne semble pas s'être produit au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, mais apparaît s'être produit à Terre-Neuve et à l'Ile-du-Prince-Édouard.
En introduisant une marge quotidienne garantie de 0,03$, il est en outre probable que, globalement, les consommateurs se trouveraient à payer davantage qu'actuellement pour leur carburant. Plusieurs ne bénéficieraient plus en effet de guerres de prix aussi féroces.
Bien qu'il soit susceptible de susciter des épisodes de grogne, le système actuellement en place au Québec semble être le plus avantageux de tous les systèmes canadiens pour le consommateur. Il sera toujours temps de le modifier et d'instaurer un prix plafond si les choses évoluent.
Pour l'instant, on serait porté à garder le statu quo et laisser chialer.