"Une opération d'investissement est une opération qui, après une analyse en profondeur, promet une garantie du capital et un rendement adéquat. Les opérations qui n'atteignent pas ces critères sont spéculatives."
Ainsi parlait le père de l'analyse fondamentale, et mentor de Warren Buffett, Benjamin Graham. S'il était toujours parmi nous, le professeur de Columbia trouverait sans doute qu'investir dans l'or est aujourd'hui une opération très spéculative.
La réflexion nous est venue, il y a quelques jours, après la lecture de rapports d'analystes sur le secteur.
Optimiste sur le prix de l'or ?
On l'a personnellement longtemps été.
À peu près seul, d'ailleurs. Au grand rire de la galerie.
À 400 $ US au milieu des années 1990, le prix de l'once d'or avait reculé à près de 250 $ US au début des années 2000. Et ce, malgré les chroniques répétées de l'auteur qui estimait que tous étaient égarés, sauf lui (bien entendu).
Un simple motif justifiait notre position à l'époque. L'or reculait parce que les banques centrales vendaient. Elles ne reconnaissaient plus son rôle comme actif monétaire. Un peu comme cela se produit avec les devises lorsque le marché perd confiance dans la force d'une économie.
C'était folie. Simplement pour la raison suivante : si des bombes nucléaires allaient simultanément tomber sur Washington, New York et Los Angeles, que vaudrait-il mieux avoir dans ses poches, des devises ou des pépites ?
L'or était (et est toujours) le seul actif transportable et universellement reconnu comme valeur ultime.
Coller au raisonnement allait s'avérer passablement payant et faire taire la rigolade.
On n'a aujourd'hui pas changé d'idée sur le principe. Sur la valeur de l'actif cependant, la situation est fort différente.
C'était une chose de dire que l'or devait valoir 400 $ US l'once et non 250 $, parce que l'on vendait en s'appuyant sur une mauvaise analyse. C'en est une toute autre de dire qu'il doit aujourd'hui valoir plus de 1500 $ US.
Voici quelques éléments de réflexion tirés en partie de la pensée de l'analyste Deep Kapur, de Daiwa Capital Markets.
Voici quelques éléments de réflexion tirés en partie de la pensée de l'analyste Deep Kapur, de Daiwa Capital Markets.
De gros noms vendent
Il y a toujours d'importants noms engagés dans le secteur aurifère, comme Paulson & Co, Vinik Asset Management et Scout Capital.
Une partie de ce qu'on appelle le "smart money", ou argent futé, semble toutefois douter du potentiel du métal précieux. Soros Fund Management, le fonds du légendaire George Soros, a dernièrement réduit son exposition au secteur. Eton Park Capital, un autre fonds de couverture renommé, en est sorti. Pendant ce temps, Barrick Gold a préféré le cuivre à l'or lors de sa dernière acquisition.
Le prix de l'or est en orbite
En tenant compte de l'inflation, pour la période 1972-2011, le prix réel de l'or est à 2,5 fois sa moyenne historique. Le seul moment où il a affiché un niveau plus élevé était lors de la grande bulle aurifère de la fin des années 1970 et du début des années 1980. En dollars actuels, ce sommet serait aujourd'hui de 1900 $ US l'once. Nous ne sommes plus très loin du repère et, plus on s'en approche, plus des circonstances exceptionnelles sont nécessaires pour justifier le prix.
Les circonstances sont exceptionnelles, mais...
Ces circonstances sont-elles si exceptionnelles ? Oui. Les ratios d'endettement d'un certain nombre de pays se trouvent à de dangereux niveaux, et la situation n'est pas sans faire planer des inquiétudes sur la solidité du système monétaire mondial. Les taux d'intérêt sont aussi à des niveaux historiquement très bas, ce qui est généralement favorable à l'or. Plusieurs s'y réfugient en effet par crainte d'inflation.
Au niveau actuel, il faudra cependant plus pour générer une nouvelle poussée. Or, bien que les choses aillent mal, les quatre cavaliers de l'Apocalypse ne sont quand même pas en route. Bien que des situations de défaut technique soient évoquées en Europe, on est encore très loin d'un défaut sur le capital. Des créanciers pourraient un jour avoir à prendre une perte sommaire sur leur capital investi, mais nous ne sommes pas dans une situation où il s'agit de l'ensemble de ce capital comme ce fut le cas en 2008. Quant aux États-Unis, il serait bien étonnant que le bras de fer politique conduise à un défaut.
L'or pèse lourd dans les FNB
L'or détenu par les fonds négociés en bourse (FNB) commence à peser lourdement. Avec plus de 1 200 tonnes de métal dans leurs voûtes, ils détiennent maintenant l'équivalent de près de 80 % de la production mondiale annuelle. S'il fallait qu'un événement ou un signal technique déclenche une rapide sortie des investisseurs, attachez vos tuques, la secousse pourrait être brutale. Autant ces fonds agissaient initialement comme catalyseur du prix de l'or en dynamisant le marché, autant ils risquent prochainement de devenir un frein.
Morale de l'histoire
Le secteur aurifère ne tombera vraisemblablement pas demain matin. Un investisseur pourrait cependant envisager d'alléger ses positions.
Benjamin Graham, lui, en serait depuis longtemps sorti.
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