C'est une décision inattendue, qui, souhaitons-le, débouchera sur une nouvelle philosophie économique pour le Canada dans les prochaines années. Le blocage de la vente de Potash Corp. à l'australienne BHP Billiton rompt avec le principe de la libre circulation des capitaux, le fameux "free market capitalism". Trop tard pour Alcan, mais peut-être juste à temps pour Air Canada, BCE, Quebecor et al.
À une exception près, le gouvernement du Canada a toujours autorisé les prises de contrôle de nos fleurons corporatifs. Inco, Falconbridge et Alcan sont notamment passées en des mains étrangères. Seule l'acquisition de McDonald Detwiler Associates par Alliant Techsystems n'avait pas passé le test en 2008. C'était cependant pour des raisons de sécurité nationale (McDonald était propriétaire des satellites Radarsat et Canadarm).
Dommage pour le Québec que la réflexion ne soit pas intervenue plus tôt. La situation de Potash Corp. n'est en effet pas vraiment différente de celle qui prévalait pour Alcan.
Plusieurs ont parlé de l'importance de conserver nos ressources naturelles sous contrôle canadien, un argument indisponible pour Alcan. Mais un argument qui n'est de toute façon pas pertinent. Peu importe à qui appartient la ressource, nos gouvernements conservent en effet toujours ultimement la possibilité d'agir dans le futur par loi spéciale et de contraindre les entreprises à respecter sa volonté.
Les vrais désavantages de ces transactions sont d'une autre nature. Elles transforment presque toujours des sièges sociaux effectifs en sièges sociaux factices. Le fleuron acheté perd tout contrôle sur l'allocation des capitaux qu'il génère. Plutôt que d'investir dans le développement de projets, il faudra souvent envoyer pendant plusieurs années les liquidités que l'on produit à la compagnie mère afin qu'elle puisse rembourser sa nouvelle dette et rassurer ses banquiers. Cette société mère cherchera du même coup à faire de l'attrition dans différents services de la compagnie acquise pour augmenter sa rentabilité et rembourser plus vite cette dette. Du coup, ce sont des emplois de qualité qui disparaissent au pays.
On ne peut s'empêcher de noter que les investissements prévus d'Alcan au Québec ont connu un sévère ralentissement à la suite de son acquisition par Rio Tinto. Il y a bien entendu eu une crise économique, mais il y a aussi une solide dette chez Rio Tinto…
Là ne s'arrêtent pas les inconvénients de ces transactions. Laissez aller Research in motion à Motorola, ses avancées technologiques et ses secrets seront rapidement relayés dans les laboratoires étrangers, et c'est probablement eux qui prendront un jour la place de nos chercheurs.
Réactions à prévoir
BHP a 30 jours pour soumettre une nouvelle proposition au gouvernement. Il est douteux qu'elle puisse l'infléchir. Aucune garantie ne peut réellement venir contrer les désavantages de cette transaction. Potash a en outre déjà toutes les capacités financières nécessaires à son développement, et ses actionnaires ne devraient pas être trop mécontents puisque beaucoup d'analystes estiment que sa valeur est de toute façon supérieure à l'offre de BHP.
La décision d'Ottawa pourrait néanmoins générer un certain nombre de commentaires défavorables dans les prochains jours chez les partisans à tout crin de la libre circulation des capitaux.
Il est gagnant pour le Canada, disent-ils, de laisser aux étrangers la possibilité de prendre le contrôle de nos entreprises afin que les nôtres puissent continuer de grandir en faisant de même à l'étranger.
Pareil argument ne fait que fausser la discussion. Il ne s'agit pas en fait d'empêcher les étrangers d'acheter nos entreprises, mais simplement nos fleurons. Une société de 32 millions d'habitants a en effet beaucoup plus à perdre au jeu du capitalisme sans contrainte qu'une société de 300 millions d'habitants. La grosse société peut finir par vider les plus importants sièges sociaux de sa voisine et s'emparer d'une grande partie de ses avancées intellectuelles et technologiques; l'autre ne le pourra jamais. Son profil socio-économique est beaucoup moins menacé.
Que feront les Conservateurs avec les télécom et le transport?
C'est désormais la plus intéressante des questions. Car elle permettra de savoir assez rapidement si le gouvernement entend réellement rompre avec les désavantages du "free market capitalism" à tout crin et donner une interprétation plus large à la clause de protection nationale.
Depuis quelques mois l'on parle de permettre aux étrangers de prendre le contrôle d'entreprises dans le secteur des télécommunications, de la radiodiffusion et du transport aérien.
Il y a d'importants sièges sociaux dans ces secteurs: BCE, Rogers, Telus, Quebecor, Air Canada er Westjet, etc.
Des actifs que l'on pourrait mettre à risque d'affaiblissement sous prétexte qu'il faut accroître leurs capacités de financement. Or, à ce jour, il n'y a pas vraiment eu de difficultés de financement sur le marché intérieur.
Pourquoi mettre à risque ces sociétés, alors que le statu quo permet déjà de les protéger sans remous extérieurs?
Bien hâte d'entendre la réponse du gouvernement.