François Pouliot: Norbourg, ou comment l'AMF et cie sauvent la face
Bonne nouvelle: les victimes de Norbourg récupéreront finalement l'ensemble de leur mise. Surtout une bonne nouvelle pour l'Autorité des marchés financiers (AMF), KPMG et Northern Trust, qui paient moins que ce qu'elles risquaient de devoir payer, et maintiennent leur réputation.
Certains verront un peu d'humanité dans l'entente à l'amiable intervenue dans le dossier Norbourg. Après tout, on voit rarement des investisseurs indemnisés à près de 100%. On n'accorderait pas trop de poids au facteur empathique. Essentiellement, nous sommes en présence d'une entente mathématique et d'une manœuvre de préservation des réputations (voir plus bas ce qui risquait de s'en venir entre la Caisse et l'AMF).
L'AMF, Northern Trust, KPMG, Concentra et Rémi Deschambault règlent pour 55 M$. La répartition des sommes n'est pas publiquement connue, mais l'AMF confirme avoir contribué pour 20 M$, alors que la chaîne Argent avance que Northern Trust contribuerait pour un montant identique et KPMG pour 10-12 M$. Des chiffres plausibles, indiquent des sources.
Le deal mathématique
En conférence de presse mercredi, les avocats des victimes, Me Jacques Larochelle et Serge Létourneau, n'ont pas caché que les coûts juridiques et accessoires du dossier, uniquement pour le recours collectif, auraient été colossaux si l'on s'était rendu à procès.
Pour l'ensemble des défendeurs, il n'aurait en fait pas été étonnant de les voir atteindre les 50 M$ pour la seule première instance du procès. Pas moins de 138 jours d'audience étaient à venir. Sans compter les journées préparatoires. Les avocats fonctionnent à 200$ de l'heure, sont généralement au moins trois au dossier. Il y a aussi toutes sortes de témoins experts à rembourser. L'AMF reconnaissait mercredi que ses frais juridiques de première instance auraient pu atteindre 15 à 16 M$.
En cas de défaite et d'un appel subséquent, le compteur aurait continué à tourner. La situation était somme toute différente pour les victimes puisque les avocats qui prennent des recours collectifs fonctionnent généralement en bonne partie à commission sur les sommes obtenues.
On notera au passage que Me Jacques Larochelle estimait mercredi, qu'au-delà des honoraires, si le recours avait traîné 5 à 6 ans, entre 25 et 40 M$ se seraient vraisemblablement ajoutés à la réclamation, notamment en raison des rendements perdus et des intérêts courant.
Bref, une montagne de coûts s'amenait pour l'AMF, Northern Trust et KPMG. Dans le cas d'une victoire, un assureur se dirigeait vers une situation de break-even. Dans le cas d'une défaite, la mathématique devenait nettement désavantageuse.
Une autre considération tout aussi importante
L'autre risque qui pesait de plus en plus sur l'AMF, Northern Trust et KPMG en était un de réputation. Particulièrement pour l'AMF.
À Québec, la juge Dominique Bélanger, de la Cour supérieure, était depuis la fin novembre en délibéré sur un autre recours collectif, de 78 M$ celui-là, dirigé uniquement contre la Caisse de dépôt et placement.
Une décision était attendue instamment. Advenant une autorisation du recours par la juge, la Caisse de dépôt n'aurait eu guère d'autre choix que d'appeler tout le monde en garantie, l'AMF y compris, pour tenter de minimiser ses frais.
D'autres dépenses à ajouter à la facture. Mais surtout, on voit tout de suite les gros titres et l'important ébranlement de confiance: la Caisse accuse l'AMF d'avoir été grossièrement négligente (il faut une faute lourde pour faire sauter l'immunité de la couronne).
Que l'opinion publique médise est une chose. Que la plus importante institution du Québec le fasse aussi, ça devient embarrassant. Et ça donne en parallèle des munitions à Ottawa pour son projet de commission unique.
Même si le recours collectif contre la Caisse n'avait pas reçu de feu vert, le risque restait important qu'un procès ne vienne mettre en lumière des failles au sein de l'AMF, dans les processus de vérification de KPMG ou dans la gestion de Northern Trust.
Les investisseurs font aujourd'hui une bonne affaire. Dans les circonstances, ceux qui paient apparaissent néanmoins encore plus gagnants.