Quel est le but le but de l'assouplissement quantitatif actuellement mené par la FED? Faire baisser les taux d'intérêt. Eh bien, ils montent…
Huit séances après avoir démarré les presses à argent électroniques, les taux d'intérêt n'ont pas baissé. En fait, ils sont tous légèrement supérieurs à ce qu'ils étaient au début de l'opération.
À la veille du commencement des achats, le 12 novembre, les taux des obligations 3 ans, 5 ans, 7 ans et 10 ans étaient les suivants: 0,63%, 1,23%, 1,84% et 2,65%. Ils sont aujourd'hui respectivement à 0,69%, 1,40%, 2,08% et 2,75%.
Beaucoup d'analystes n'y voient pas d'incongruité. L'explication va ainsi. « Les derniers mois avaient été marqués par toute une frénésie sur le marché des obligations. Les investisseurs ne voulaient que des obligations et parce qu'ils achetaient massivement, ils faisaient baisser les taux ».
Jusque là, on suit. Lorsque beaucoup achètent des obligations, leur valeur augmente, et conséquemment leur taux d'intérêt baisse (*).
Poursuivons l’écoute du discours. « Les investisseurs achetaient beaucoup d'obligations en anticipation de l'assouplissement quantitatif de Ben Bernanke. Ils achetaient sur la rumeur. Maintenant que la nouvelle est confirmée, ils vendent sur celle-ci. Et même si la FED achète massivement, l'offre déborde la demande, ce qui fait que la valeur des obligations baisse et les taux montent. »
Sur la deuxième partie du discours, on suit moins. Avant la fin octobre, bien peu de gens parlaient d'un possible assouplissement quantitatif. Attribuer l'envolée du marché obligataire à "une anticipation de l'opération", c'est prêter des dons divinatoires à beaucoup trop de monde et être complètement dans le champ. Le marché grimpait plutôt sur l’élan d'investisseurs accumulant des obligations parce qu'ils redoutaient un recul de l'économie et du Dow Jones. Ils se disaient: "bah, aussi bien un faible 0,63% (le 3 ans), que -10% en bourse.
On n'attribuerait donc certainement pas la remontée des taux d'intérêt à une anticipation des investisseurs. Il reste cependant possible qu'ils vendent effectivement ces jours-ci plus massivement que dans les derniers mois leurs obligations. Une simple question de prise de profit en raison de la force des derniers mois. Et que, même si le motif est différent, le résultat soit le même : une avalanche temporaire de vendeurs, qui amène une hausse temporaire des taux.
Quelle sera la suite?
C'est ce qu'il sera intéressant de voir.
Car voici une autre hypothèse susceptible d'expliquer la hausse des taux ces derniers jours. Ou, à tout le moins, le problème qui se présente maintenant.
M. Bernanke veut faire remonter l'inflation aux États-Unis autour de 2% annuellement (autour de 1,2% actuellement). Dans un marché normal, les investisseurs tentent d'anticiper le niveau d'inflation à venir. S’ils en perçoivent, ils ne laissent pas les taux trop descendre. Or, les investisseurs vont continuer d’anticiper, et parce que l’objectif est très nettement télégraphié, il risque d’y avoir moins d'acheteurs sur le marché obligataire. À quoi bon en effet miser sur un actif qui, à son acquisition, est déjà presque assuré d'être dévalué par l'inflation dans les prochaines années? Aussi bien envoyer son argent ailleurs. Or, qui dit moins de demande pour les obligations, dit aussi pression à la hausse sur les taux d'intérêt.
Tel est le vent frontal auquel pourrait bien se heurter la FED dans les prochains mois.
Cela ne veut pas dire que les taux ne baisseront finalement pas, mais on a de forts doutes sur un recul significatif.
Et si les taux baissaient finalement?
C’est une autre question.
Si l'exercice devait fonctionner, il reste à voir s'il peut vraiment relancer l'économie américaine.
Depuis plusieurs mois, l'environnement de taux d'intérêt est en effet déjà très incitatif à la dépense. Pourquoi les citoyens dépenseraient-ils davantage alors qu'ils avaient déjà les meilleures conditions d'emprunt à vie?
Emprunter est par définition faire aujourd'hui une dépense à laquelle on renonce pour demain. C'est ce que beaucoup d'Américains firent ces dernières années. Les coffres sont vides. Ils ont maintenant simplement besoin de rebâtir leur capital.
Les minutes de la réunion de la FED sur l'assouplissement quantitatif (publiées mardi) permettent d’ailleurs de voir qu'il n'y avait pas unanimité chez les administrateurs quant au succès à attendre du plan Bernanke.
Mais il s’agit de la dernière carte de la banque centrale. Et il vaut mieux la jouer que de rendre son jeu.
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* Faîtes l'exercice avec une obligation qui verserait un intérêt de 1$ par année et dont la valeur passerait de 10$ à 11$. Le rendement passe de 10% à 9%.