Analyse. Le marché de l'argent métal est-il sous l'emprise de manipulateurs?
Depuis la fin octobre, trois poursuites allèguent que les banques d'affaires JP Morgan Chase (en reprenant Bear Stearns) et HSBC ont ces dernières années manipulé le marché de l'argent pour tenter de garder les prix du métal bas.
Ces réclamations s'ajoutent à une déclaration de Bart Chilton, commissaire de la US Commodity Futures Trading Commission, qui disait récemment croire que des manœuvres frauduleuses avaient eu cours sur le marché.
Pendant ce temps, le prix du métal argent est en feu, en hausse de 55% depuis la saison estivale. Près de trois fois plus que la progression du prix de l'or (environ 20%).
Les analystes se grattent l'occiput pour tenter d'expliquer la divergence de comportement. Certains allèguent qu'historiquement l'argent réagit davantage à l'inflation que l'or, mais l'argument n'est guère convaincant.
DES PRÉCÉDENTS
Il existe deux précédents dans l'histoire où le marché de l'argent s'est envolé sous une impulsion plus ou moins naturelle.
- Première envolée: les frère Hunt.
En 1979, le prix de l'once d'argent amorça l'année à 5$ US pour la terminer à…50$ US.
On découvrit peu de temps après qu'en partenariat avec de riches investisseurs arabes, les frères Nelson et William Hunt s'étaient mis à rapidement augmenter leurs positions sur le marché. En quelques mois, ils accumulèrent près de 200 millions d'onces d'argent, l'équivalent de la moitié de la demande mondiale.
Ils furent cependant pris de court par la FED, qui, devant un affaiblissement de l'inflation, assouplit sa politique monétaire
La bulle dégonfla et les frères Hunt ne purent sortir à temps. En plus de pratiquement y laisser leur chemise, ils furent condamnés pour avoir manipulé le marché.
- Seconde envolée: Warren Buffett
En 1998, un mystérieux investisseur se mis soudainement à acheter massivement. Le prix de l'argent bondit de 50% et défonça les 7$ US l'once. Devant un nombre croissant d'interrogations, la SEC demanda finalement à l'acheteur de se faire connaître. À la surprise générale, Warren Buffett sorti de l'ombre et déclara avoir accumulé en six mois 129,7 millions d'onces, l'équivalent de 20% de la production annuelle mondiale.
Il n'y eut pas de suite, l'opération n'était pas de nature spéculative.
Et cette fois?
Les allégations veulent que JP Morgan (Bear Stearns) et HSBC se soient construit d'importantes positions à découvert en utilisant des dérivés afin de tenter de faire baisser les prix. (*)
Il est notamment allégué qu'à l'été 2008, à elles deux, JP Morgan et HSBC "détenaient 85% des positions commerciales nettes à découvert de la COMEX et 25% de toutes les positions à découvert".
Officiellement, les deux banques n'ont pas réagi. Mais certains citent un dirigeant de HSBC qui aurait déclaré que l'institution se livrait à des opérations de "hedging" dans le cours de ses activités. En d'autres mots, qu'elle ne faisait que protéger d'autres positions contre un risque de chute du marché.
Qu'en penser?
On ne sait trop. Mais si les deux banques tentaient vraiment de manipuler le marché à la baisse, on ne peut pas dire qu'elles y aient très bien réussi.
Le seul épisode fortement baissier des cinq dernières années dure moins de six mois, entre le printemps et l'automne 2008, alors que l'argent passe de 20$ à 10$ US l'once. Le reste du temps, les cours sont à tendance haussière.
Qu'il s'agisse d'une manipulation baissière ou d'une simple stratégie d'acteurs importants, beaucoup s'entendent cependant pour dire que le nombre de positions à découvert était élevé sur le marché de l'argent ces derniers mois. Et il se pourrait bien que l'on soit maintenant (en fait depuis quelque temps) en train de récolter les résultats et le contrecoup d'une nouvelle manipulation, haussière celle-là.
Celle d'un dénommé… Ben Bernanke.
En imprimant plus d'argent, la FED se trouve à faire grimper la valeur d'actifs, comme le métal argent.
Télégraphiée depuis quelque temps, l'opération n'était sûrement pas de nature à laisser un investisseur à découvert sur ses positions (plus le prix du métal argent monte, plus il perd). Il ne serait donc pas étonnant que l'on assiste actuellement à des opérations de couverture (rachats) qui dopent la demande pour le métal. Des opérations vraisemblablement fortifiées par d'autres ordres d'achat de spéculateurs qui croient qu'un complot pour maintenir les prix bas est en train de s'effondrer.
Mieux vaudrait être prudent. Une fois les rachats effectués, la demande risque en effet d'être beaucoup moins forte.
D'autant que si certains actifs comme le métal argent grimpent trop et menacent de créer une nouvelle bulle, monsieur Bernanke n'aura d'autre choix de mettre fin à sa nouvelle manipulation.
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* Un investisseur fait appel à la vente à découvert lorsqu'il croit qu'un produit va baisser. Il peut par exemple emprunter du métal argent qu'il ne possède pas, le vendre immédiatement au marché (disons à 20$ US), et le retourner plus tard au prêteur après l'avoir racheté au marché. S'il rachète à un prix plus bas que celui auquel il avait vendu (15$), il retourne le métal et garde la différence de prix dans ses poches (5$); s'il rachète à un prix plus élevé (25$), il encaisse une perte (5$).
Des opérations concertées de ventes à découvert sont évidemment susceptibles de faire tomber les prix en permettant à l'offre de déborder la demande.