C'est Thanksgiving, ce jeudi, aux États-Unis. En action de grâce, Domtar devrait payer une dinde à chacun des contribuables américains.
Début 2009, nous avions examiné la situation de la compagnie. Ses ratios d'emprunt commençaient à devenir préoccupants. Si les choses ne se redressaient pas, elle risquait de devoir prochainement convoquer ses banquiers à la table pour discuter de ses conditions de crédit. Domtar (UFS, 78,40$ US) menaçait de tomber en défaut sur ses conventions.
À l'époque, la dette s'élevait à un peu plus de 2G $ US. Le marché du papier blanc était à plat, à la suite de nombreuses mises à pied dans les entreprises.
Quelle est la situation aujourd'hui?
Moins de deux ans plus tard, la dette a fondu à 472 M$ US. Domtar nage dans l'argent et les analystes spéculent qu'elle pourrait doubler son dividende au printemps (de 1$ US par action à 2$ US), tout en procédant prochainement à une importante acquisition.
Wow! De quoi se pincer. Comment pareil revirement a-t-il donc pu se produire?
La direction n'est pas restée les bras croisés et a bien entendu pris d'importantes mesures de rationalisation. L'oligopole dont fait partie Domtar (avec International Paper, Boise Cascade, Georgia Pacific et Glatfelter) s'est aussi montré discipliné et a retranché de la capacité. Les prix ont remonté, et, malgré le ralentissement, la rentabilité aussi.
Surtout cependant
Surtout cependant, Domtar a reçu un énorme coup de pouce des contribuables américains.
La liqueur noire, vous connaissez?
Il s'agit d'un résidu obtenu dans la transformation du bois en pâte, que les papetières utilisaient depuis des dizaines d'années comme un combustible pour leurs usines.
En 2007, un nouveau crédit d'impôt américain fut introduit pour décourager l'utilisation des combustibles fossiles et encourager l'utilisation de la biomasse. Au cours de 2009, International Paper eut l'idée d'ajouter un peu de diesel à sa liqueur noire, et conclut qu'en ce faisant, même si elle allait totalement contre l'esprit du programme (elle ajoutait de l'énergie fossile…), elle s'y conformait dans sa lettre.
Le gouvernement, qui voyait l'industrie traverser de difficiles moments, accepta la réclamation.
Ce fut alors l'avalanche. Ce qui ne devait initialement être qu'un programme mineur devint un important soutien des usines de papier américaines. Des analystes estiment qu'environ 7 G$ US furent tout simplement donnés en crédits d'impôts aux papetières avant que le programme n'expire en 2010.
Domtar ne fit pas bande à part. Il y a quelques jours, RBC Marchés des capitaux estimait à 516 M$ l'aide financière directe qui fut accordée à la compagnie. Une aide qui lui permit de réduire de 25% sa dette sans rien faire.
Scandale?
On ne peut pas reprocher à Domtar d'avoir suivi le bal et bien joué ses cartes. Ne l'eut-elle pas fait, elle se serait placée en situation de désavantage face à ses concurrentes.
Le Canada fut plus habile dans toute cette histoire. Voulant éviter que ses usines ne soient désavantagées par rapport aux américaines, il introduisit lui aussi des crédits d'impôt pour la liqueur noire. Mais il eut la bonne idée de lier leur obtention à des investissements environnementaux dans leurs installations.
Conclusion?
En cette journée de Thanksgiving, Domtar devrait rendre grâce aux Américains pour leur générosité.
Et nous, retenir l'histoire pour l'avenir. Un bel exemple de ce qui risque d'arriver lorsque l'on utilise un programme à des fins autres que ce pourquoi il avait été initialement conçu. Les contribuables ont l'air des dindons de la farce.