Suivi toute la polémique autour d'une contribution de la famille Kadhafi à la London School of Economics? L'histoire vient de se solder par la démission du recteur de l'université. Pendant ce temps, SNC-Lavalin continue de prétendre qu'elle fait bien de participer à la construction d'une prison en Libye. Une erreur de jugement que l'on devrait rapidement admettre plutôt que de s'enfermer dans une position indéfendable.
L'histoire de la London School of Economics peut se résumer ainsi. En 2009, son directeur, Howard Davies, allait accepter une donation de 1,5 million de livres (2 M $ CAN) d'une fondation dirigée par Saif al-Islam Kadhafi, le fils du général.
Kadhafi fils est un ancien étudiant de la LSE. Aucune obligation d'affectation n'était attachée à la donation, dont le cinquième seulement a jusqu'à maintenant été versé. Le conseil vota finalement pour qu'il soit distribué en bourses d'études à des étudiants nord africains).
M. Davies est un ancien vice-gouverneur de la Banque d'Angleterre, un ancien patron de la FSA, le gendarme britannique de la finance, et un ancien émissaire de Tony Blair en Libye, qui lui avait demandé d'aller contribuer à la modernisation des institutions financières là-bas. Londres pratique depuis plusieurs années une politique de rapprochement avec la Libye, qui, en retour a accepté d'enterrer la hache de guerre terroriste.
Aucune controverse, jusqu'à ce que la rébellion n'éclate en Libye. Et que ne sorte en parallèle une histoire de prête-nom pour la thèse de doctorat du fils Kadhafi. Bien qu'aucun lien avec la diplomation ne puisse être fait avec M. Davies, il allait finalement remettre sa démission.
En clair, s'il faut en croire la morale de l'histoire, une université ne devrait pas recevoir d'argent d'un régime qui ne respecte pas les droits de l'homme, et se livre à l'extorsion, même si cet argent peut être recyclé à des fins utiles.
Le parallèle avec SNC
Voyons maintenant le parallèle avec SNC.
La société est engagée en Libye dans trois projets majeurs. L'expansion de l'aéroport Benghazi, le projet Great Man Made River, un vaste pipeline d'eau traversant le désert, et une prison à Tripoli. Total des projets: environ 7% des revenus de la société en 2010.
Si l'on suit la morale britannique, SNC n'aurait pas dû accepter ces contrats. Il ne faut en effet pas accepter d'argent de régimes qui ne respectent pas les droits humains et se livrent à de l'extorsion.
SNC est-elle fautive?
SNC est-elle fautive?
Oui et non.
Est-il en effet si problématique d'accepter de l'argent contaminé en échange d'un service qui pourra contribuer aux mieux-être de l'ensemble? Un aéroport est une infrastructure qui sert la collectivité, qu'elle soit oppressée ou pas. Un pipeline d'eau aussi.
Une prison?
C'est ici que l'on arrête de suivre. Et que la position de SNC flirte dangereusement avec le ridicule.
"Nous sommes fiers et considérons qu'il s'agit d'un important pas en avant pour ce pays. Comme entreprise, c'est une occasion de partager nos valeurs essentielles avec tous les citoyens du monde. Quelle serait l'alternative à la construction d'une prison à la fine pointe conçue selon les plus hautes normes internationales des droits humains?"
Si l'on comprend bien, SNC laisse entendre qu'elle a reçu des garanties à l'effet que les droits humains seraient respectés à l'intérieur des murs de la prison. Si tel est le cas, on aimerait bien les voir…
Beaucoup d'argent en jeu
À l'évidence, SNC est rébarbative à l'idée d'une discussion sur la conduite de ses affaires dans des juridictions dictatoriales. C'est compréhensible. De grosses sommes sont en jeu. NCP Northland calcule par exemple que si les troubles libyens devaient s'étendre à l'ensemble des pays du Moyen Orient et de l'Afrique (Arabie Saoudite, Jordanie, Tunisie, Algérie et Mauritanie), c'est 26% de ses revenus qui seraient affectés.
À l'inverse, refuser de discuter de la conduite de ses affaires risque d'avoir des contrecoups à terme. D'abord du côté du financement de l'entreprise. Si on était un fonds éthique, on aurait aujourd'hui quelques questions à poser avant d'accepter de financer SNC.
Ensuite au niveau des multiples qu'accolera à terme le marché à la société. Des profits peuvent être bien intéressants, mais si une partie de la marge provient de projets controversés qui font du bruit dans les juridictions démocratiques, un escompte risque de se développer sur votre titre. SNC tire toujours 54% de ses revenus du Canada, 3% des États-Unis et 7% de l'Europe (source NCP Northland). Des régions où les gouvernements sont de gros donneurs d'ouvrage et où il n'est pas recommandé d'avoir trop de taches à son dossier si l'on veut maintenir ou augmenter son carnet de commandes.
D'autant que ce dossier vient s'ajouter à de récentes allégations de corruption du gouvernement indien à l'égard d'un ancien haut dirigeant de SNC.
Conclusion?
À son assemblée annuelle, la société devrait annoncer à ses actionnaires qu'elle a demandé à l'un de ses comités d'administrateurs de revoir sa politique de conduite des affaires à l'international. Il ne s'agit pas de se retirer de toutes les juridictions dictatoriales, mais de bien jauger chacune et surtout de ne plus s'embarquer dans des projets qui sont indéfendables.
En l'absence d'une telle annonce, force sera de reconnaître que le génie québécois en manque parfois un peu, et qu'il n'est pas à la hauteur de la fierté qu'on lui porte.