La nouvelle n'a curieusement pas fait beaucoup de bruit. Reste que Boeing a pratiquement confirmé vendredi qu'elle n'allait pas aller de l'avant avec un projet de remotorisation de sa famille d'appareils 737.
Dans son entrevue au Financial Times, le patron de la division commerciale de Boeing, Jim Albaugh, y va d'une salve assez nourrie contre le projet de remotorisation du A-320 d'Airbus (et du A-319, principal concurrent de la CSeries).
M. Albaugh ne voit "aucune raison attrayante" pour suivre Airbus dont le projet ne va procurer "qu'un faible pourcentage de bénéfice aux compagnies aériennes".
Il juge qu'un prix de détail de 6 M$ plus élevé que le modèle actuel va venir gruger une bonne partie des économies de carburant promises pour les A-320 remaniés et que de nouveaux moteurs coûteront aussi plus chers à entretenir.
Le dirigeant estime finalement que la plupart des sociétés aériennes vont préférer attendre quelques années de plus, le temps que les manufacturiers développent un tout nouvel appareil qui pourra offrir "jusqu'à 20% d'efficacité économique" (réduction de coûts d'exploitation).
Qu'est-ce à dire pour Bombardier?
La position de Boeing vient accréditer ce que plusieurs avaient déjà commencé à signaler. La simple remotorisation ne peut livrer les mêmes bénéfices que le développement d'un nouvel appareil pour une compagnie aérienne.
Dans un récent rapport Canaccord citait le cas de Boeing en indiquant qu'une réingénierie du 737 permettrait peut-être de sauver 15% en carburant (ce que prédit Airbus pour ses avions remodelés), mais que l'économie au chapitre des coûts total d'exploitation ne serait que de 2 à 3 %.
Airbus peut peut-être livrer un niveau d'économies globales un peu supérieur à cela, en ce que la conversion des avions de Boeing est réputée plus difficile, mais ces économies demeureraient encore loin du 15% minimal que promet Bombardier. D'autant que les CSeries, à 60 M$ chacun, sont 16 M$ inférieurs au prix suggéré par Airbus.
La longueur d'avance
La déclaration de Boeing a aussi l'avantage de venir préciser l'horizon sur lequel Bombardier risque de détenir un avantage sur ses pairs.
Le fait pour Airbus de sortir 1,3G$ US pour remodeler son appareil pour 2016 fait dire à quelques analystes qu'elle ne devrait pas être prête à lancer un nouvel appareil avant 2025.
Chez Boeing, des échos de presse datant d'il y a quelques mois font état d'un nouveau 737 qui pourrait arriver sur le marché vers 2020.
Pendant ce temps, la CSeries doit, elle, faire son apparition sur le marché vers 2013.
C'est donc minimalement sept ans d'avance sur le plus proche concurrent. Assez longtemps pour bien s'installer dans le marché.
Deux questions restent cependant intéressantes
Si l'avantage est tel, pourquoi les commandes ne rentrent-elles pas?
Ce n'est pas tellement alarmant. Une récente analyse de la firme AirInsight rappelle que lors de leurs lancements, les appareils d'Airbus et de Boeing dans le créneau du 100-149 passagers n'avaient pas connu un succès retentissant. Il s'était commandé 69 appareils 737-700 l'année du lancement et la suivante, alors que le carnet avait été de 73 pour le A-319 sur la même période. À titre de comparaison, Bombardier a 90 commandes fermes et 90 options.
Il ne serait en fait pas surprenant que les commandes traînent encore jusqu'en 2013. D'ordinaire, raconte-t-on dans l'industrie, il faut trois ou quatre ans avant que celles-ci ne s'envolent.
Ce n'est pas anormal, tout le monde attend pour voir si ce qui est promis sur papier sera livré avec continuité dans les faits.
Il ne faudrait donc pas s'attendre à ce qu'il y ait une explosion des commandes d'ici 2013.
La fenêtre est-elle assez importante pour que Bombardier atteigne son objectif?
Le constructeur québécois estime à 6000 appareils le marché du 100-149 passagers dans les 20 prochaines années, et prévoit s'en accaparer 50%.
Nul doute qu'entre 2013 et 2020, l'objectif devrait être atteint. Après coup, c'est cependant beaucoup moins sûr. Il faudra en effet batailler avec des appareils qui pourraient avoir une meilleure performance que la CSeries.
S'ajoute le fait que ces 6000 appareils projetés sur 20 ans, ne sont en fait pas loin du double de la cadence de production combinée des A-319 et des 737 ces dernières années. La cadence combinée actuelle est en effet de 175 appareils par année, ce qui sur 20 ans fait 3 500 avions.
L'expansion prévue du marché provient d'anticipations pour une demande fortement accrue en Asie et au Moyen Orient. Il ne faudrait cependant pas trop se tromper sur cette demande. Car, on le voit, s'il y a théoriquement de la place pour un troisième joueur, ça demeure assez serré.