Vous croyez que l'avenir de la Bourse de Montréal sera déterminé du fait qu'elle est acquise par la London Stock Exchange ou le groupe des neufs piloté par Luc Bertrand (Maple Acquisitions)? En partie oui, mais une autre bataille tout aussi importante pourrait bien se profiler en coulisses, non seulement pour Montréal, mais pour plusieurs institutions financières du Québec.
L'un des axes les plus importants du projet de Maple Acquisition (en fait le plus important) repose sur l'intégration de la chambre de compensation de la Bourse de Montréal (pour les produits dérivés) avec celle de CDS (pour les actions et obligations).
Luc Bertrand a assez longuement insisté lundi sur le potentiel de revenus pour Maple de nouveaux produits qui devront bientôt obligatoirement passer par cette chambre. Il renvoyait en fait à deux types de produits du marché canadien: les repos et les swaps de taux d'intérêt.
Si pour les repos l'affaire est dans le sac, c'est loin d'être le cas pour les swaps, le plus gros des marchés. Et un important bras de fer pourrait bien prochainement s'engager entre certaines grandes banques canadiennes et de plus petites institutions comme la Nationale, la Laurentienne et le Mouvement Desjardins. Avec pour enjeu central non seulement la Bourse de Montréal, mais également leur propre intérêt.
D'abord plaçons le jeu et précisons les choses
Qu'est-ce qu'une chambre de compensation et pourquoi de nouveaux produits y arriveront-ils?
Une chambre de compensation est une entité juridique où les représentants à un marché s'engagent à réparer les dégâts d'une institution qui ferait défaut et n'honorerait plus ses obligations. Le système fait supporter le risque de débandade d'un acteur sur un ensemble de joueurs et vise ainsi à contenir les effondrements.
Jusqu'à la crise financière (et encore aujourd'hui) les banques se finançaient souvent entre elles au moyen de repos, des repurchase agreements, ou, si l'on préfère, des opérations d'achat-rachat sur les obligations du Canada. Lorsqu'une banque a besoin d'argent pour quelques jours, elle va en voir une autre qui lui vend un titre à un prix X, à condition que l'acheteuse s'engage à le lui retourner quelques jours plus tard à un prix légèrement inférieur. Le repo est une forme de prêt.
Les institutions utilisaient (et utilisent encore) en parallèle des swaps de taux d'intérêt pour gérer leurs appariements. Ils peuvent par exemple s'échanger des obligations à taux fixes pour des obligations à taux variables histoire d'équilibrer leurs risques.
Au lendemain de la crise financière, le G-20 en est venu à la conclusion qu'il valait mieux faire passer ces produits par des chambres de compensation pour tenter d'éviter les culbutes en domino dans le système financier.
C'est pour cela que Luc Bertrand estime que d'importants volumes supplémentaires sont désormais susceptibles d'aboutir à la future chambre de compensation unifiée.
L'enjeu maintenant
L'enjeu maintenant
Au terme de tout un processus, sans que la chose ait fait trop de bruit, l'industrie canadienne s'est entendue pour que les repos soient envoyés à la chambre de compensation de la Bourse de Montréal. Les produits devraient normalement commencer à y transiter à l'automne.
Il s'agit cependant là du petit marché. Le plus gros, celui des swaps, qui affiche une valeur notionelle de 5,6 billions $ (trilion en anglais), pourrait cependant curieusement aboutir non pas à Montréal, mais à l'international. Les acteurs ont jusqu'au 31 décembre 2012 pour s'entendre sur l'endroit où seront échangés ces produits. Et c'est loin d'être acquis pour nous.
Dans le coin droit, des grandes banques, comme la Royale, qui sont déjà membres de chambres de compensation internationales comme LCH SwapClear à Londres ou CME à Chicago, souhaiteraient que l'on aille à l'une de ces chambres plutôt que d'avoir à s'inscrire à une nouvelle chambre. Il y aurait pour elles toutes sortes d'économies.
Les plus petites institutions que sont par exemple la Nationale, la Laurentienne et Desjardins n'ont cependant pas la grosseur leur permettant d'être admises à ces chambres de compensation internationales et devraient se trouver un partenaire chez de plus grandes institutions. Ce qui veut dire pour elle des commissions plus élevées et une position concurrentielle diminuée.
Des observateurs confient que la partie est loin d'être gagnée pour les partisans d'une solution canadienne car, pour qu'elle fonctionne avec efficacité, il faudrait idéalement qu'une majorité d'acteurs internationaux acceptent de s'y joindre.
Malgré tout, une solution locale apparaît préférable. Bien que la Bourse de Montréal ne perdrait pas nécessairement d'acquis, elle perdrait un important potentiel de développement (et la création d'emplois intéressants) avec la solution internationale. Les plus petites institutions canadiennes seraient vraisemblablement désavantagées. Et la Banque du Canada se retrouverait dans une drôle de situation, avec bien peu d'influence et de supervision sur la mécanique opérationnelle de produits dont elle serait pourtant l'ultime pourvoyeuse en liquidités.
On croit comprendre que la décision reviendra ultimement aux commissions des valeurs mobilières du pays, au ministre fédéral de l'industrie et du commerce et au Bureau de la concurrence.
Restons à l'antenne. Luc Bertrand et le groupe des neuf viennent d'amener sur la place publique un important enjeu pour le Québec qui avait jusqu'à maintenant échapper à la plupart.