Analyse. Air Canada s'apprêterait-t-elle à tenter de sortir Porter du marché?
La question nous est venue à l'esprit il y a quelques jours en prenant connaissance des projets d'expansion d'Air Canada sur sa liaison Montréal-Toronto.
Le transporteur exploite actuellement 23 dessertes quotidiennes entre l'aéroport Trudeau et l'aéroport Pearson. À partir de février 2011, il ajoutera cependant 15 allers-retours quotidiens sur l'île de Toronto (Billy Bishop Toronto City Airport). WestJet pendant ce temps fera passer ses liaisons de 6 à 8 par jour.
Certes, Air Canada diminuera l'envergure de certains de ses vols sur Pearson, et Porter Airline retranchera un peu de capacité. Mais globalement, l'analyste Cameron Doerksen, de Financière Banque Nationale, calcule que la capacité augmentera de 61% sur l'aéroport de l'île de Toronto en février et de 12% sur Pearson.
À l'évidence, une guerre de prix se dessine. Si vous prévoyez devoir faire la navette à Toronto pendant quelque temps pour la conclusion d'un projet, et que le temps ne vous bouscule pas, il ne serait pas si fou de remettre ça à cet hiver.
Air Canada a-t-elle les moyens de cette guerre?
C'est la première question qui se pose, elle qui traîne toujours une solide dette à son bilan.
La réponse est oui. La route Montréal-Toronto ne représente en fait qu'environ 3% du total de ses départs.
Et l'expansion survient à un moment où les choses ne vont pas si mal. Mise à part la liaison Montréal-Toronto, la hache de guerre est pas mal enterrée partout ailleurs au pays. WestJet et Air Canada se livrent sur le marché intérieur une concurrence de prix ordonnée alors que le trafic s'améliore. La situation est la même du côté transfrontalier et à l'international. Air Canada est de surcroît en train de passer un arrangement avec les nouvelles fusionnées United-Continental pour former un joint venture où les deux compagnies travailleront étroitement à coordonner les horaires (élimination des vols concurrents), et à mettre en place des campagnes marketing et des prix arrimés.
Notons enfin que l'expansion sur Toronto survient avec un nouveau partenaire, Sky Regional, qui exploitera cinq Bombardier Q-400, et qui devrait opérer à coûts assez concurrentiels.
Air Canada a donc les moyens de lancer l'offensive.
Porter a-t-elle les moyens de cette guerre?
C'est la question la plus intéressante. Et il est difficile d'y répondre parce que la compagnie est une société privée.
Au printemps, Porter avait toutefois annoncé son intention d'entrer en bourse avec un appel à l'épargne de 120 M$.
L'opération a été annulée à la fin de l'été, la compagnie indiquant que le moment n'était pas propice à une émission d'actions.
Le prospectus provisoire émis à ce moment permet d'avoir un aperçu de la situation du transporteur à bas prix.
À première vue, on peut se demander si Air Canada ne risque pas vraiment de se casser les dents avec son offensive.
Porter se targue en effet d'atteindre le seuil de rentabilité avec un coefficient d'occupation parmi les plus bas du secteur. Au cours de 2009, ce coefficient était pour elle à 49%, un niveau bien inférieur à ceux de WestJet (71%) et Air Canada (83%).
La compagnie attribue cet avantage au fait qu'elle n'exploite qu'une seule catégorie d'appareils - une vingtaine de Q-400 - alors que les autres sociétés ont de multiples parcs d'appareils. Il y a aussi le fait que ses effectifs de travailleurs sont non syndiqués.
Au total, elle compte 47 employés par appareils, alors que WestJet en a 73.
C'est à première vue. En creusant, il devient apparent que Porter n'est pas si solidement retranchée dans ses positions.
Le coefficient d'occupation du transporteur a été de 47% au premier trimestre de 2010, et de 47,9% pour l'exercice 2009. Sous le seuil de rentabilité. Depuis le début de l'année, les choses se sont améliorées, mais le coefficient cumulatif ne demeure qu'à 53,3%.
Pour l'exercice 2009, le BAIIA (bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement) est positif à près de 8 M$, mais lorsque l'on fait tout entrer, la perte d'exploitation grimpe à près de 4,5 M$.
À l'évidence, la compagnie ne se présente pas sur le tarmac avec des coffres de guerre bien remplis.
Encore ici, il faut cependant faire attention et savoir que l'expansion de Porter pèse sur ses résultats. La compagnie a ouvert plusieurs routes en 2009 et doublé son parc d'avions (de 8 à 18). Développer de nouvelles routes coûte cher. Mettrait-on fin à quelques unes, que la rentabilité s'améliorerait sans doute.
Conclusion?
On ne peut certainement pas conclure que l'attaque d'Air Canada aura pour conséquence de sortir Porter d'affaires. Montréal-Toronto est l'une de ses routes importantes, mais elle en a plusieurs autres, dont Toronto-Ottawa, Toronto-New York, Toronto-Chicago et Ottawa-Halifax, où la concurrence ne s'intensifiera pas.
Il ne serait pas étonnant cependant que la guerre de prix sur Toronto-Montréal ne vienne empêcher Porter de revenir tenter sa chance sur le marché public. Et, ce faisant, qu'elle ne vienne mettre fin à toute expansion significative de la compagnie.
En d'autres mots, Air Canada ne peut sans doute pas terrasser son adversaire, mais elle pourrait bien s'apprêter à lui couper les ailes.