Est-il temps de prendre le train? Et si oui, lequel?
La question nous est venue il y a quelques jours d'un éminent collègue qui s'interrogeait sur le comportement du CN et du CP, alors que l'économie est, comme dirait l'autre, en situation d'aiguillage.
En Bourse, les deux sociétés roulent "grand train" depuis le début de l'année, en progression de plus de 18 %, soit trois fois plus que le S&P 500 et de 30 % supérieur à l'indice S&P/TSX.
Pas populaires chez tous...
Populaires auprès des actionnaires, les deux transporteurs le sont cependant moins auprès de leur clientèle.
Il y a de la grogne chez les expéditeurs quant à la qualité des services offerts et quant aux prix. Les trains sont notamment souvent en retard dans leurs livraisons. Pendant ce temps, plusieurs estiment qu'il manque de concurrence et que les prix de transport sont trop élevés.
Toutes sortes de propositions sont actuellement sur la table. Des acteurs de l'industrie estiment qu'il faudrait ouvrir le secteur ferroviaire à d'autres transporteurs en donnant le contrôle et la gestion des voies à une société d'État. D'autres réclament l'implantation d'un système d'ententes de service où seraient énoncés les rôles et les responsabilités de chacun. D'autres enfin demandent la mise en place de rapports de rendement (il s'agirait de fixer des objectifs à atteindre pour les sociétés de chemins de fer) et la désignation d'un ombudsman qui pourrait sanctionner le manquement à ces rendements.
Un comité d'examen fédéral a récemment remis un rapport provisoire où il recommande au gouvernement de ne pas intervenir avant 2013, afin de donner au CN et au CP le temps d'apporter des solutions aux différentes doléances. On le voit cependant, le spectre de l'intervention du régulateur plane sur le secteur. La marge bénéficiaire des transporteurs pourrait bien être sous pression à plus ou moins long terme. Plus tôt que tard pour le CN, même. Un climat de désenchantement similaire règne en effet aux États-Unis où les parlementaires pourraient bien, dans les prochains mois cette fois, instaurer de nouvelles mesures réglementaires.
En attendant...
Laissons le spectre de l'intervention réglementaire et, en nous inspirant d'une note de CIBC Marchés mondiaux, attardons-nous maintenant au potentiel du secteur dans les prochains mois. Il s'agit de jeter un coup d'oeil sur les différentes industries qui remplissent les wagons.
> Le charbon. Ça augure assez bien de ce côté, alors que la demande pour le charbon métallurgique semble demeurer très forte sur les marchés internationaux. Teck veut, entre autres, augmenter sa production de charbon de 50 % au cours des quatre prochaines années.
> Métaux et minéraux. Pas si mal non plus. Les volumes sont en croissance de plus de 45 % depuis le début de l'année, mais ils sont encore 20 % en-dessous de ceux observés en 2007 et 2008. Avec les mesures de stimulation, on pourrait bien avancer encore.
> Le blé. Pas très porteur pour 2011. La récolte n'est pas bonne dans l'Ouest, a lors que la production était en baisse de 15 % à la mi-octobre, comparativement à la même période l'an passé.
> Automobile. Un peu de progression en vue. Il devrait se vendre 11,6 millions de véhicules en 2010 aux États-Unis. JD Power & Associates prévoit des ventes de 13,2 millions d'unités en 2011.
> Forêt. Comme ci comme ça. Les prévisions sont pour un nombre de mises en chantier stagnant aux États-Unis. La demande pour les produits forestiers et les matériaux de construction devrait demeurer faible.
> L'intermodal. Ce qui vient en fait d'outre- mer. Avec le dollar américain qui bat en retraite, on ne miserait pas vraiment sur un tonnage beaucoup plus important. Pas nécessairement moins, mais pas beaucoup plus. Les pays asiatiques devraient normalement avoir plus de difficultés à exporter vers l'Amérique du Nord, les manufacturiers américains devenant plus concurrentiels.
Qu'en retenir ?
L'un dans l'autre, il semble y avoir un peu plus de positif que de négatif. Ajoutons des gains de productivité dans les prochains mois et on comprend pourquoi les analystes s'attendent à voir les bénéfices des deux sociétés continuer de croître au cours de la prochaine année.
Le CN et le CP s'échangent respectivement à 14 et 14,6 fois les bénéfices anticipés en 2011, comme quoi l'un n'apparaît pas vraiment plus cher que l'autre.
À titre comparatif cependant, l'indice S&P 500 est à 13 fois ses profits prévus et le TSX, à 13,8 fois. Vrai, les trains canadiens sont en bonne partie tirés par la demande de denrées en provenance de l'Asie et méritent peut-être une petite prime. Ils font néanmoins au même moment face à une menace de réglementation qui pourrait venir réduire leur rentabilité.
On prendrait un autre train.
francois.pouliot@transcontinental.ca